Le sens commun ou l'instinct du peuple 1

Publié le par Pierre Gapenne

Le sens commun, c’est le plus souvent d’abord une tyrannie des majorités...

Le sens commun, c’est le plus souvent d’abord une tyrannie des majorités...

               

            Le sens commun n'est pas le bon sens bourgeois utilitariste, il n'est non plus ni préjugés, ni croyances populaires et encore moins opinions du plus grand nombre, le sens commun est essentiellement un ensemble de vérités immédiatement évidentes à une majorité de gens.

    

 Gallimard, collection

 

 

    Le sens commun, c’est le plus souvent d’abord une tyrannie des majorités et du << qu’en dira-t-on >> mais c’est parfois aussi ensuite une réalité triviale voire même tribale : que des peuples débonnaires puissent devenir des meutes enragées, personne n’aura su mieux le montrer que Elias Canetti dans Masse et Puissance[1]. Aussi, le sens commun devrait toujours avoir le premier mot : non pas le dernier car il faut bien le dire au sens commun comme à l'opinion on peut bien lui faire dire à peu près tout et n'importe quoi : une chose et son contraire. Mais si la véracité et la véridicité du sens commun peuvent être remises en cause et en doute, pour autant nous ne saurions remettre en cause son statut de matrice originelle des lieux communs. Et si le sens commun a partie liée avec le peuple, il ne se réduit pas au people, c'est-à-dire à cette inversion démocratique du système des stars : il est plutôt l'ombre de ce ventre mou des majorités silencieuses. Et si en outre, la notion de sens commun désigne bien à notre attention toutes ces choses un peu effrayantes du poujadisme, si on le prend en bonne part, il est aussi le bon sens : du sens commun on dit alors volontiers que <<jamais la confiance des premières vérités n’a plus mérité d’attention que dans un temps comme le nôtre où tout le monde se mêle de parler de tout et même d’en décider. C’est alors principalement qu’il convient de tâcher par l’examen des premières notions des choses de fournir le moyen de vérifier si chacun est à portée de bien entendre celle dont il parle pour donner ainsi quelques exactitudes à sa propre raison et aux raisonnements qu’il hasarde>>[2][1]. Commençons par définir son statut politique : le sens commun c’est les opinions générales des peuples, dans l’infini variété de leur multitude, c’est la pluralité agissante des projets de tout un chacun sans dessein concerté : c’est une opinion qui n’a ni encore su constituer son unité, ni encore su ériger sa volonté en souveraineté.  Ainsi, le peuple non souverain destitué de sa fonction de sujet, c’est ce peuple des servitudes volontaires qui oppose son inertie à toute innovation qui prétendrait changer ses coutumes : c’est une souveraine soumission au plus grand nombre [3][2]. L’instinct des peuples nous dit Michelet est plus fidèle aux lois, qu'aux rois [4][3] : il n'a pas tant le culte des individualités charismatiques, il s'en remet au  règne de la foule et de la populace.

[1]) Elias CANETTI : Masse et puissance ; traduction Robert Rovini, éditions Gallimard, collection Tel.

[1]) Claude BUFFIER : Traité des premières vérités et de la source de nos jugements ; éditions Gallica, 1724.

[2]) Etienne TASSIN : Lecture de Hannah Arendt, colloque Crise de l’Etat Nation, 2008.

[3]) Jules MICHELET : Le peuple ; éditions Champs Flammarion, p 155.

                L’expérience commune tient que dans la vie ordinaire, la plupart des gens pensent souvent que nous sommes tous, à peu près pareils. Sans doute, chacun a à cœur de cultiver avec plus ou moins d’application son individualité mais le plus grand nombre ne tiennent pas tant que cela à être trop originaux.  Ils ne veulent pas passer pour des excentriques, pour des drôles voire pour des fous. Les groupes sociaux ont tous des normes qui ne sont pas le plus souvent si rigides mais qui posent tout de même la limite entre ce qui est tolérable, supportable et ce qui est insupportable et inadmissible. C’est précisément cet esprit de solidarité qui fait que des populations partagent des valeurs, qu’on appelle le sens commun. Il se caractérise par une certaine tempérance, ni trop, ni trop peu : de la sorte, on évite les conflits, on élude les plus grosses difficultés, on supporte les litiges et on endure les contentieux non parfois sans quelques haines bien rentrées. De guerre lasse, on obtient la paix plus par la résignation ou par la renonciation de l’une ou des deux parties : quand il n’y a pas d’espoir de pouvoir convaincre ou persuader l’autre partie, on préfère éviter les affrontements. Le sens commun constitue un modus vivendi acceptable pour une majorité : en chacun de nous un dispositif de dispositions guide nos manières de nous orienter dans la vie. Il nous a été depuis notre plus tendre enfance, inculqué par une ambiance, par une tonalité affective, par des exemples, par des modèles, par des façons de parler, par des manières de nous mettre en scène dans la vie publique. Le sens commun fournit ainsi à chacun tout un ensemble de recettes de solutions et de réponses toutes faites plus ou moins stéréotypées aux problèmes que nous rencontrons. Il puise ses solutions un peu partout, par ouï-dire et il se détourne presque toujours des réponses unilatérales : l’opinion du sens commun est ductile et elle s’accommode volontiers de nombreuses contradictions ou du moins de conflits ou de dissonances cognitives. Au travers des mythes notamment, le sens commun concilie des inconciliables : il rapièce toute sorte de considérations. D’aucuns n’ont pas manqué de réduire ces mythes à des préjugés ou à des poncifs éculés et ressassés. Pourtant, si pour certains le sens commun se réduit à un populisme poujadiste, pour d’autres au contraire, le sens commun se distingue du vulgaire et doit être défendu contre les subtilités des sophistes et des sceptiques. Ce sont ces derniers qui prôneront la restauration d’un sens commun mis à mal parfois par des propagandes mais parfois également stimulé et ragaillardi par les campagnes publicitaires de toutes sortes qui encensent ses idoles. Après tout, le mythe de Rimbaud vaut bien mieux que les écrits de ses détracteurs.

                Le mot sens dans la langue commune n’a pas la même signification que dans la langue philosophique ; et cette différence négligée a été souvent une source de confusion et d’erreur. La philosophie moderne semble persuadée que les fonctions des sens n’ont rien de commun avec celle de jugement. Ils considèrent les sens comme la faculté de recevoir des objets certaines impressions ou idées et le jugement comme la faculté de comparer ces idées et de percevoir leur convenance nécessaire ou leur disconvenance éventuelle. Ainsi, nous devons aux sens externes les idées de couleur, de son, de figure et de toutes les qualités primaires et secondaires des corps. Locke a donné le nom de sens interne à la conscience parce que nous lui devons les idées de la pensée, de la mémoire, du raisonnement et de toutes les opérations de notre esprit. Hutcheson, croyant reconnaître des idées simples et originelles qu’il ne pouvait rapporter, ni aux sens externes, ni à la conscience, a introduit d’autres sens internes comme le sens de l’harmonie, le sens de la beauté, le sens moral. Tous les sens internes ou externes sont représentés comme les canaux par lesquels les idées arrivent à l’esprit, pures de tout mélange avec le jugement. Hutcheson définit le sens comme une détermination de l’esprit à recevoir une idée par la présence d’un objet et il observe que cette détermination est indépendante de la volonté. Par le mot sens, nous désignons ces facultés qui nous permettent d’éprouver des affections : mais de ces affections, nul ne prétend rien conclure concernant la nature des choses : la vérité n’est pas relative, elle est absolue et réelle.

                Dans la langue commune au contraire, le mot sens implique toujours un jugement. Un homme de sens commun est un homme judicieux ; le bon sens est un bon jugement ; un non-sens est ce qui est dépourvu de jugement ; le sens commun est ce degré de jugement qui est commun à tous les hommes avec qui on peut converser et contracter dans les occurrences ordinaires de la vie. Les uns donnent le nom de sens à la vue et à l’ouïe parce qu’ils en reçoivent des idées, les autres leur ont donné le même nom parce que ce sont des moyens de juger. En effet, on dit qu’on juge des couleurs par les yeux, des sons par l’oreille, de la beauté et de la difformité par le goût, par le juste ou l’injuste, par le sens moral et la conscience. Certains qui bornent le plus rigoureusement les sens à la réception des idées, retombent quelquefois sans s’en apercevoir dans l’opinion commune que les sens sont des facultés judiciaires. Locke par exemple dit que lorsqu’il écrit, le papier venant à frapper ses yeux, produit dans son esprit l’idée à laquelle il donne le nom de blanc quel que soit l’objet qui l’excite et que par-là, il connaît que cette qualité ou cet accident dont l’apparence produit toujours cette idée, existe réellement hors de lui. Et l’assurance qu’il en a, c’est le témoignage de ses yeux qui sont les véritables et les seuls juges de cette chose. La langue ordinaire assimile bon sens et sens commun : il s’agit d’une même faculté de juger avec pertinence de situations concrètes, une même estimation de ce qui est réel et de ce que le réel rend possible. C’est également une mesure de ce qui fait sens selon des critères psychologiques ou sociologiques implicites. La tradition cartésienne préserve cette assimilation du sens commun au bon sens en lui faisant signifier l’ensemble des vérités premières indubitables.

                La signification populaire du mot sens n’est pas particulière à notre langue : les mots correspondants dans les langues anciennes et dans toutes les langues de l’Europe ont la même latitude : sentire, sententia, sensa et sensus dont le mot sens est dérivé, expriment le jugement de l’opinion. Ils s’appliquent indistinctement au sens interne et externe, au sens du goût, au sens moral et à l’intelligence proprement dite. Nous pouvons observer que l’acception particulière et singulièrement restreinte que la philosophie moderne accorde à ce terme en embrassant les seules fonctions internes du sens, est de procurer à l’esprit les idées qui sont les matériaux du jugement et du raisonnement en vue de comparer ces idées pour percevoir leurs rapports nécessaires. Les deux points de vue du sens commun et du sens philosophique sont en tout cas étroitement liés : on ne saurait dire lequel a engendré l’autre. L’appel au sens commun peut être compris péjorativement comme un appel à la foule et au vulgaire contre les doctes. La philosophie s’est souvent définie délibérément contre le sens commun : d’abord avec Parménide, nous sommes sommés de choisir entre la voie de l’apparence et celle de l’être ; ensuite avec Platon qui oppose l’opinion et la science, le monde des ombres de la caverne et le monde de la lumière. Ces philosophies ascétiques imposent le préalable d’une rupture avec les évidences communes. Mais on peut aussi philosopher avec le sens commun : Aristote estime qu’il faut d’abord s’en référer aux lieux communs du langage ordinaire de la société ordinaire.

                << Vous avez enseigné à votre frère une vérité qu’il paie trop chère. Il y a quelque chose de plus indispensable que l’argent et même de bien supérieur au goût. Le bon sens qui est un don des cieux, le bon sens qui n’est pas la science mais qui vaut celle de sept sages, est la lumière primitive que nous ne trouvons qu’en nous-mêmes, que ni Jones, ni Le Notre ne sauraient communiquer >>. Alexandre Pope fait du sens commun une lumière. Cette lumière du bon sens n’est pas accordée à tous dans la même mesure mais il faut la posséder en quelque degré pour se sentir obligé par les lois. Elle est à la fois capable de veiller à nos intérêts et de nous rendre responsable de nos conduites envers les autres. C’est parce qu’il y a du sens commun quand nos contractons des accords que nous partageons avec des autres parce qu’il est commun à des ensembles d’hommes que nous pouvons demander raison de leurs actions. La légitimité dans tous les peuples civilisés distingue ceux qui jouissent du sens commun de ceux qui n’en jouissent pas. Ces derniers ont sans doute des droits qu’il n’est pas permis de violer mais comme ils ne sont pas capables de se conduire eux-mêmes, les lois les placent sous la responsabilité des autres. Il est facile de discerner par les actions des hommes, par ses discours, souvent par ses regards, s’il est ou non dans ce cas : et quand un tribunal est chargé de se prononcer là-dessus, un interrogatoire très court le met ordinairement en état de décider la question en parfaite connaissance de cause. Le même degré d’intelligence qui suffit pour agir avec la prudence commune dans la conduite de la vie, suffit aussi pour découvrir le vrai et le faux dans les choses évidentes par elles-mêmes quand elles sont distinctement conçues. Toute connaissance, toute science repose sur des principes évidents par eux-mêmes et tels que tout homme doué du sens commun en est jugé compétent dès qu’il les a compris : de là vient le fait qu’on ne peut terminer les disputations des sciences entre elles qu’en faisant appel au sens commun. Lorsque de part et d’autre on est d’accord sur les principes qui servent de base aux arguments, la force du raisonnement décide de la victoire ; mais quand on nie d’un côté ce qui paraît trop évident de l’autre pour avoir besoin de preuves, l’arme du raisonnement est brisée ; chacun en appelle au sens commun et persiste dans son opinion. Pour que cet appel pût être jugé et que le sens commun devînt en ce cas un arbitre suprême, il faudrait que ces décisions fussent rédigées et réunies dans un code dont l’autorité fût reconnue par tous les hommes raisonnables. Rien ne serait plus désirable qu’un pareil code ; il comblerait s’il existait un vide immense dans la logique. Et pourquoi regarderait-on pareille législation comme impossible à rédiger ? Est-il impossible que des choses évidentes par elles-mêmes obtiennent un assentiment universel ?

Le mot sens dans la langue commune n’a pas la même signification que dans la langue philosophique ; et cette différence négligée a été souvent une source de confusion et d’erreur. La philosophie moderne semble persuadée que les fonctions des sens n’ont rien de commun avec celle de jugement. Ils considèrent les sens comme la faculté de recevoir des objets certaines impressions ou idées et le jugement comme la faculté de comparer ces idées et de percevoir leur convenance nécessaire ou leur disconvenance éventuelle. Ainsi, nous devons aux sens externes les idées de couleur, de son, de figure et de toutes les qualités primaires et secondaires des corps. Locke a donné le nom de sens interne à la conscience parce que nous lui devons les idées de la pensée, de la mémoire, du raisonnement et de toutes les opérations de notre esprit. Hutcheson, croyant reconnaître des idées simples et originelles qu’il ne pouvait rapporter, ni aux sens externes, ni à la conscience, a introduit d’autres sens internes comme le sens de l’harmonie, le sens de la beauté, le sens moral. Tous les sens internes ou externes sont représentés comme les canaux par lesquels les idées arrivent à l’esprit, pures de tout mélange avec le jugement. Hutcheson définit le sens comme une détermination de l’esprit à recevoir une idée par la présence d’un objet et il observe que cette détermination est indépendante de la volonté. Par le mot sens, nous désignons ces facultés qui nous permettent d’éprouver des affections : mais de ces affections, nul ne prétend rien conclure concernant la nature des choses : la vérité n’est pas relative, elle est absolue et réelle.

                Dans la langue commune au contraire, le mot sens implique toujours un jugement. Un homme de sens commun est un homme judicieux ; le bon sens est un bon jugement ; un non-sens est ce qui est dépourvu de jugement ; le sens commun est ce degré de jugement qui est commun à tous les hommes avec qui on peut converser et contracter dans les occurrences ordinaires de la vie. Les uns donnent le nom de sens à la vue et à l’ouïe parce qu’ils en reçoivent des idées, les autres leur ont donné le même nom parce que ce sont des moyens de juger. En effet, on dit qu’on juge des couleurs par les yeux, des sons par l’oreille, de la beauté et de la difformité par le goût, par le juste ou l’injuste, par le sens moral et la conscience. Certains qui bornent le plus rigoureusement les sens à la réception des idées, retombent quelquefois sans s’en apercevoir dans l’opinion commune que les sens sont des facultés judiciaires. Locke par exemple dit que lorsqu’il écrit, le papier venant à frapper ses yeux, produit dans son esprit l’idée à laquelle il donne le nom de blanc quel que soit l’objet qui l’excite et que par-là, il connaît que cette qualité ou cet accident dont l’apparence produit toujours cette idée, existe réellement hors de lui. Et l’assurance qu’il en a, c’est le témoignage de ses yeux qui sont les véritables et les seuls juges de cette chose. La langue ordinaire assimile bon sens et sens commun : il s’agit d’une même faculté de juger avec pertinence de situations concrètes, une même estimation de ce qui est réel et de ce que le réel rend possible. C’est également une mesure de ce qui fait sens selon des critères psychologiques ou sociologiques implicites. La tradition cartésienne préserve cette assimilation du sens commun au bon sens en lui faisant signifier l’ensemble des vérités premières indubitables.

                La signification populaire du mot sens n’est pas particulière à notre langue : les mots correspondants dans les langues anciennes et dans toutes les langues de l’Europe ont la même latitude : sentire, sententia, sensa et sensus dont le mot sens est dérivé, expriment le jugement de l’opinion. Ils s’appliquent indistinctement au sens interne et externe, au sens du goût, au sens moral et à l’intelligence proprement dite. Nous pouvons observer que l’acception particulière et singulièrement restreinte que la philosophie moderne accorde à ce terme en embrassant les seules fonctions internes du sens, est de procurer à l’esprit les idées qui sont les matériaux du jugement et du raisonnement en vue de comparer ces idées pour percevoir leurs rapports nécessaires. Les deux points de vue du sens commun et du sens philosophique sont en tout cas étroitement liés : on ne saurait dire lequel a engendré l’autre. L’appel au sens commun peut être compris péjorativement comme un appel à la foule et au vulgaire contre les doctes. La philosophie s’est souvent définie délibérément contre le sens commun : d’abord avec Parménide, nous sommes sommés de choisir entre la voie de l’apparence et celle de l’être ; ensuite avec Platon qui oppose l’opinion et la science, le monde des ombres de la caverne et le monde de la lumière. Ces philosophies ascétiques imposent le préalable d’une rupture avec les évidences communes. Mais on peut aussi philosopher avec le sens commun : Aristote estime qu’il faut d’abord s’en référer aux lieux communs du langage ordinaire de la société ordinaire.

                << Vous avez enseigné à votre frère une vérité qu’il paie trop chère. Il y a quelque chose de plus indispensable que l’argent et même de bien supérieur au goût. Le bon sens qui est un don des cieux, le bon sens qui n’est pas la science mais qui vaut celle de sept sages, est la lumière primitive que nous ne trouvons qu’en nous-mêmes, que ni Jones, ni Le Notre ne sauraient communiquer >>. Alexandre Pope fait du sens commun une lumière. Cette lumière du bon sens n’est pas accordée à tous dans la même mesure mais il faut la posséder en quelque degré pour se sentir obligé par les lois. Elle est à la fois capable de veiller à nos intérêts et de nous rendre responsable de nos conduites envers les autres. C’est parce qu’il y a du sens commun quand nos contractons des accords que nous partageons avec des autres parce qu’il est commun à des ensembles d’hommes que nous pouvons demander raison de leurs actions. La légitimité dans tous les peuples civilisés distingue ceux qui jouissent du sens commun de ceux qui n’en jouissent pas. Ces derniers ont sans doute des droits qu’il n’est pas permis de violer mais comme ils ne sont pas capables de se conduire eux-mêmes, les lois les placent sous la responsabilité des autres. Il est facile de discerner par les actions des hommes, par ses discours, souvent par ses regards, s’il est ou non dans ce cas : et quand un tribunal est chargé de se prononcer là-dessus, un interrogatoire très court le met ordinairement en état de décider la question en parfaite connaissance de cause. Le même degré d’intelligence qui suffit pour agir avec la prudence commune dans la conduite de la vie, suffit aussi pour découvrir le vrai et le faux dans les choses évidentes par elles-mêmes quand elles sont distinctement conçues. Toute connaissance, toute science repose sur des principes évidents par eux-mêmes et tels que tout homme doué du sens commun en est jugé compétent dès qu’il les a compris : de là vient le fait qu’on ne peut terminer les disputations des sciences entre elles qu’en faisant appel au sens commun. Lorsque de part et d’autre on est d’accord sur les principes qui servent de base aux arguments, la force du raisonnement décide de la victoire ; mais quand on nie d’un côté ce qui paraît trop évident de l’autre pour avoir besoin de preuves, l’arme du raisonnement est brisée ; chacun en appelle au sens commun et persiste dans son opinion. Pour que cet appel pût être jugé et que le sens commun devînt en ce cas un arbitre suprême, il faudrait que ces décisions fussent rédigées et réunies dans un code dont l’autorité fût reconnue par tous les hommes raisonnables. Rien ne serait plus désirable qu’un pareil code ; il comblerait s’il existait un vide immense dans la logique. Et pourquoi regarderait-on pareille législation comme impossible à rédiger ? Est-il impossible que des choses évidentes par elles-mêmes obtiennent un assentiment universel ?

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G
Il faut imaginer un peuple dont le bon sens soit toujours en mesure de saisir également le sens commun...
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