N Comment se fixe et s'implante un style ?

Publié le par Pierre GAPENNE

Le style ne peut être beau qu'à la façon dont est beau le geste de l'athlète... C'est ce procès d’imprégnation de vertus esthétiques et éthiques que nous appelons le style...

Le style ne peut être beau qu'à la façon dont est beau le geste de l'athlète... C'est ce procès d’imprégnation de vertus esthétiques et éthiques que nous appelons le style...

IV.3) L’implantation du style : l’instanciation : comment se fixe un style ?

 

                C’est sans doute au travers de l’œuvre de Goodman [1] qu’on trouve une approche de cette problématique du style la plus originale et la plus novatrice : en effet, dans son entreprise de mise en ordre des hypothèses de nos inférences inductives, il met le doigt sur les paradoxes très sensibles de nos manières de faire des mondes. En particulier, il articule avec une réelle virtuosité l’étroite imbrication de quatre catégories de problèmes : (1) l’interprétation des énoncés contrefactuels dont les antécédents sont faux (ce qui jusqu’à lui semblait hors de propos au motif que << de l’impossible au possible, la conséquence n’est pas bonne >>). (2) L’interprétation des énoncés contenant des termes dispositionnels (les vertus d’Aristote), (3)la nécessité de distinguer les lois scientifiques des généralisations accidentelles (ce à quoi Hume se refuse) et (4)le problème de l’induction même à savoir le problème de nos projections de prédictions portant sur des cas inobservés à partir de nos représentations portant sur des cas observés. Ce que nous pouvons d’emblée relever, c’est que la notion d’énoncé contrefactuel prend le pas sur la notion de contre-exemple : la conditionnalité qu’induit cet exercice nous installe dans un ordre de présuppositions qui instancie nos convictions ailleurs que dans des expériences vécues. L’interprétation de nos énoncés tisse un réseau de renvois entre les règles de l’induction et les usages : nos usages nous informent sur les extensions de nos concepts. Les jeux de pensée des énoncés contrefactuels sont des attendus qui mettent en évidence des niveaux de preuve possibles comparables en logique épicurienne [2] à l’infirmation, à la non-confirmation de la proposition contradictoire et à l’infirmation de la proposition contradictoire (2). Ce qui ressort avec le plus de force de cette mise en perspective de cette élaboration, c’est  que l’implantation des prédicats dispositionnels s’appuie à la fois sur des prédicats conséquents et à la fois sur des prédicats antécédents qui vont former et conformer ces attendus. Aussi, l’implantation acquise ou héritée de ces prédicats repose t’elle virtuellement (en puissance) non pas tellement sur une expérience antéprédicative que sur l’impact escompté corrélatif à l’information obtenue par cette hypothèse dans l’exploration de l’expérience considérée. Sans doute, toute hypothèse est d’abord soutenue par ses propres exemples positifs mais les confirmations des hypothèses par des exemples trahissent aussi plus souvent la pauvreté de nos exemples [3] qu’elles ne ratifient nos prédictions : << seul un énoncé de forme nomologique peut être confirmé par un de ses exemples >> : l’exemplification n’est modélisable que provisoirement (3). Ces accommodations de nos hypothèses à nos environnements nous montre à l’œuvre le procès générateur et provocateur de nos avancées créatrices : la mise en ordre des prédicats s’effectue au travers d’expérimentations d’expériences de pensées, par des puzzle-cases qui sont autant de mises en hypothèses qui se fondent en se constituant en systèmes d’entités compatibles qui s’implantent comme une théorie des types. C’est ce procès d’imprégnation de vertus esthétiques et éthiques que nous appelons le style : tandis que certaines hypothèses présentent des conséquences gênantes et d’autres des antécédences troublantes, la congruence d’un style émerge à la faveur des infléchissements de nos attitudes réfléchissantes initiales (faites de nos goûts et de nos croyances [4]) qui s’accoutument et qui s’ajustent au mieux-disant : nos hypothèses se font synthèses. << Pour concrétiser le tableau de l’interaction entre le langage humain et l’environnement qui se dégage de l’empirisme sans le dogme de l’opposition analytique/synthétique, on peut supposer que les gens cherchent à maximiser l’obtention de leurs préférences au moindre coût : on peut inférer les préférences des goûts et des croyances >>. C’est la projectibilité du style qui atteste le mieux que le problème (4) est soluble dans la vie.

 

[1]) Nelson GOODMAN : Faits, fictions et réalités ; traduction Roland Houde et Robert Larose, éditions de Minuit, 1984.

[2]) Jean-Marie GABAUDE : Sur Epicure et l’épicurisme ; revue de l’enseignement philosophique, 1975.

[3]) Jacques BOUVERESSE : Dire et ne rien dire ; éditions Jacqueline Chambon, 2002.

[4]) Pierre JACOB : introduction de De Vienne à Cambridge ; éditions Gallimard, 1980, p 39, 40.

Publié dans Philosophie

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