(1) Pâtir et compâtir : la vie de l'esprit ...

Publié le par Pierre GAPENNE

La notion de pertinence met en jeu un vaste ensemble d'intérêts et de valeurs...

La notion de pertinence met en jeu un vaste ensemble d'intérêts et de valeurs...

Nous avons à choisir entre avoir une bonne mémoire et avoir une bonne conscience : pour avoir bonne conscience, la mémoire arrange volontiers les faits, dès lors, cette bonne conscience se double d'une mauvaise foi qui met mal à l'aise et qui corrode la bonne foi naturelle de l'insouciance de l'enfance...

 

      Les doubles acrimonieux des ressentiments de la mauvaise conscience et les amertumes des mauvaises grâces de la foi duplice...

 

         Remarques entremêlées pour ceux qui n'en mènent pas large et pour ceux qui n'emmènent pas trop large

 

     En matière de valeurs, il n'y a pas de << matter of facts >>, en matière de faits, il n'y a que des comportements : en première approximation, nous ne pouvons penser les choses qu'au travers de leurs relations externes. En deuxième approximation, nous devons bien admettre sans doute, que << décider ce qui est et ce qui n'est pas un fait, présuppose des valeurs >>. << La notion de pertinence met en jeu un vaste ensemble d'intérêts et de valeurs >>. On ne peut pas réduire la perception à la vision du monde physique.(Hilary Putnam, chapitre VI de Raison, Histoire et Vérité) Désirer et décider que les choses ne soient pas ce qu'elles sont, c'est tout à fait autre chose que ne pas désirer et décider qu'elles soient ce qu'elles sont, désirer qu'une chose n'arrive pas et ne pas désirer qu'une chose arrive, cela fait deux. Se faire des illusions motivées sur la valeur d'un objet en dévaluant ce qui n'est pas sien, est compatible avec la rationalité, se faire des illusions sur les sentiments qu'un autre porte sur nous-même, ne l'est pas. Le scepticisme concernant le choix rationnel des désirs, n'exclut pas le changement motivé des désirs. << Les grandes pensées viennent du cœur >> (Vauvenargues),  non pas de la raison (Pascal). C’est pourquoi l’amour de la justice en la plupart des hommes n’est pas tant la crainte de souffrir l’injustice (La Rochefoucauld) que << le courage de souffrir l’injustice >> (Lautréamont) : à moins de prétendre soutenir que la bonne volonté puisse s’accommoder de la mauvaise foi, nous ne saurions dire que << nous n’appelons injustice que ce qui lèse notre désir  >>. L'affection ou la haine peuvent bien changer la face de la justice, la sagesse des Nations, du bon sens et du sens commun, cette noble inquiétude que Aristote nous a fait toucher du doigt : << la prudence >> nous montre la voix. Les sentiments aussi sont sujets à bien des paradoxes : Hume met à jour l'idée que le ressort même de la sympathie, cet opérateur de la socialité et de la sociabilité, c'est précisément son caractère essentiellement paradoxal. Hume souligne que la sympathie n'est pas du tout une bienveillance universelle : au contraire, c'est les contrastes qui vivifient les plaisirs présents. << Un homme qui se compare à son inférieur ressent du plaisir de la comparaison ; et lorsque l'infériorité décroît, ce qu'on aurait pu prendre pour une simple diminution du plaisir, devient une souffrance réelle, par une nouvelle comparaison avec la situation présente >>. (Traité de la Nature humaine, Tome II, p 227). La pitié est un sentiment désagréable, l'envie est un sentiment agréable. Dans cette perspective, on comprend toute l'importance qu'a pu prendre le cynisme social dans La fable des abeilles de Bernard Mandeville. Lorsqu'une passion est devenue un principe confirmé d'action et l'inclination prédominante de l'âme, tout finit par céder à sa répétition incessante et à la force de son habitude, l'esprit fraie et se déploie encouragé par les harmonies et se rétracte quand il rencontre des disharmonies. La passion est alors ce qui dirige la conduite. Les passions calmes sont celles qui définissent et constituent les caractères de la nature humaine dans son cours ordinaire : elles font les moeurs sur lesquelles s'élèvent les manières (TNH p 275). J’avais passé beaucoup de temps dans l’étude des sciences abstraites et le peu de gens avec qui on peut en communiquer ne m’en avait pas dégoûté. Quand j’ai commencé l’étude de l’homme, j’ai vu que ces science abstraites ne lui sont pas propres, et que je m’égarais plus de ma condition en y pénétrant que les autres en les ignorant ; j’ai pardonné aux autres de ne point s’y appliquer. Mais j’ai cru au moins trouver bien des compagnons en l’étude de l’homme puisque c’est elle qui lui est propre. J’ai été trompé. Il y a encore moins qui l’étudient que la géométrie (Pascal). L'avidité contraint les hommes à inventer l'économie, c'est à dire l'échange réglé des biens dans le cadre du droit. Ainisi, l'amour de la vérité procède d'un plaisir qui enveloppe la tension de l'esprit en quête de son objet. Les passions sont ce qui motive de part en part la nature humaine, y compris l'entendement : c'est par le plaisir que l'esprit trouve à la recherche de la vérité, qu'il accomplit sa perfection. Ce qui a disparu, ici, c'est la conception adéquative de la vérité : l'esprit n'est pas lumière, pas plus qu'il n'est illuminé par un quelconque soleil : l'esprit traque une proie. Chase the trane.



            La parole flatteuse est un produit toxique, corrompu d'avance par l'hypothèque dominatrice qu'elle a en vue. L'orgueil et l'amour propre sont capables de faire des merveilles : << nous perdons encore la vie avec joie pourvu qu’on en parle >>. Contentement de soi absurde de celui qui en se suradaptant, se nuit à lui-même : auto empoisonnement masochiste de ceux qui se convainquent qu'il vaut mieux souffrir que de s'abaisser à daigner de  << vouloir les connaître >>. << Je ne peux pas les connaître >>. La vie humaine n’est qu’une illusion perpétuelle ; on ne fait que s’entre-tromper et que s’entre-flatter. Mystifiés par la présomption de savoir, nous sommes à la merci de nous laisser entraîner et compromettre dans les plus grandes erreurs en choisissant de nous en remettre à telle ou telle loi. Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence : ceux qui se persuadent d'avoir toutes les qualités puisque personne en leur présence, n'ose les critiquer, sont souvent pris à revers lorsqu'ils échouent. Ceux qui parlent de nous, pour nous, sans nous, sont contre nous. Avec Hume, comme le précise Ernst Cassirer dans La philosophie des Lumières, << ce n'est plus au sentiment de se justifier devant la raison, c'est la raison qui est désormais citée devant le forum de la sensation et surtout de l'impression pure pour y répondre de ses prétentions >> : il met à jour et à découvert les mécanismes générateurs de nos comportements. Tout est à refaire : si la raison se moque de la raison, la morale de la morale, la sensibilité ne se moque jamais, elle pâtit, compâtit et réclame réparation. Notre autonomie ne peut tenir que pour autant que nous soyons en mesure de justifier notre allégeance à l'autorité de la loi qui nous gouverne, à la pertinence  du schème conceptuel qui nous permet de décrire les choses du monde ou au jeu de langage qui nous permet de vivre et de circuler parmi les choses qui nous entourent. Au Witz réflexif, acide et persifleur, opposer la constance du sérieux, à l'instabilité du malin génie, voir comment nous pouvons encore composer : ne pas rire, comprendre. C'est dans cette capacité du soi à éviter toute identification nécessaire avec une situation contingente que certains modernes (Moore, Sartre ou Goffman) tant analytiques, interactionnistes ou qu'existentialistes, ont vu l'essence de l'action morale. La politique des sociétés oscille entre une liberté qui n'est que l'absence de régulation du comportement individuel et des formes de contrôle collectivistes ne visant qu'à limiter la prolifération anarchique des intérêts privés. (Alaisdair McIntyre : Aprés la vertu : vérité ou fausseté de l'émotivisme : les vulnérabilités de nos sensibilités valent mieux que la rigidité de leur statut). Nous-mêmes, nous nous gouvernons à mi chemin entre << l'inflexibilité bornée >> de règles universalisables (U-type) et de règles susceptibles d'ajuster (E-type) << nos indéterminations névrotiques >> à la situation et au contexte. Au sein de l'émotion et de la sentimentalité, se jouent des interactions qui mettent en oeuvre des présupposés (plutôt que des implications), des sous entendus (plutôt que des explicitations transparentes, unilatérales et sans équivoques) et des conditions de possibilité (plutôt que des règles nécessaires a priori). Il nous faut distinguer entre impliquer, laisser entendre et présupposer. L'autonomie d'un sujet, c'est tout à fait autre choses que l'indépendance d'un individu : tandis que ce dernier s'en tient à habiter le solipsisme de son idiosyncrasie, le sujet autonome est susceptible de contracter et de dilater son identité personnelle en ajustant les ambitions de ses interactions aux circonstances. Sa relative indépendance compose les multiples interdépendances de ses interactions : celles-ci sont de deux ordres, d'un côté, les subjectivités implicites que les subjonctivités de nos discours peuvent exprimer, de l'autre, les objectivités des lois auxquelles les conditionnels de nos discours peuvent faire allégeance. << On loue le fait d'être capable aussi bien de gouverner que d'être gouverné, et il semble que d'une certaine manière l'excellence d'un bon citoyen soit autant d'être capable de bien commander que de bien obéir >>. (Aristote, Les Politiques, III, 1277 a 26-27) Le ton n'est que la convenance du style

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