L'hypothèse de l'improbable et les injonctions paradoxales...

Publié le par Pierre GAPENNE

 Comment l'impression de voir partout du contre intuitif (pour faire le plus malin) peut-il prendre valeur de légitimation de l'improbable ?

Comment l'impression de voir partout du contre intuitif (pour faire le plus malin) peut-il prendre valeur de légitimation de l'improbable ?

  Unverhofft kommt oft... Against all odds... La traversée de l'improbable : nous sommes partis de la vanité de toutes les nobles espérances, et nous avons cru y découvrir un perfide mystère. Mais si nous la confrontons maintenant avec les règles de la probabilité, nous expliquerons fort modestement ce mystère […]. Du même coup, à partir du probable, nous expliquerons le règne, la stabilité, l’accroissement fort indésirable de tout ce qui est moyen ! Rien là de romantique, ni même peut-être de noir ! Qu’on le veuille ou non, ce serait plutôt une tentative courageuse ! » Ce qui est moyen est toujours probable et l'homme moyen est toujours probable. L'homme sans qualités, Tome IV, p 77.

 

  “le problème fondamental de l’essence du probable semble de plus en plus vouloir se substituer au problème de l’essence de la vérité, bien qu’il n’ait été d’abord qu’un outil pour résoudre des problèmes déterminés. On aurait pu dire aussi bien que, peu à peu, « l’homme probable » et la « vie probable » prenaient la place de « l’homme vrai », de la « vie vraie » qui n’avait été qu’imagination et duperie.” Robert Musil L'homme sans qualités Tome IV, p 79.

       

    Ironie du sort. N'importe quoi aurait pu être n'importe quoi d'autre, cela aurait eu autant de sens... Tennessee Williams. Qui ne vaut mieux que sa vie ? Nous avons le choix entre avoir une bonne mémoire et avoir une bonne conscience...

    

           Comment l'impression de voir partout du contre intuitif (pour faire le plus malin) peut-il prendre valeur de légitimation de l'improbable ? Tout en elle, (cette langue débraillée du rap), est harangue, sommation, injonction et galvanisation sauvage des autres et de soi-même. L'esprit de la méthode "paranoïaque critique " consiste à faire gagner en certitude l'Idée que l'existence des choses douteuses et même de des choses les plus improbables, puisse risquer de s'avérer finalement comme effectivement réelle et même comme ce qu'il y a de plus réel et de plus menaçant : de proche en proche, on en vient ainsi à penser que le pire, c'est sûr, c'est ce qui va arriver à tout coup. Le paranoïaque est plongé ainsi dans une solitude à la fois douloureuse et rassurante qui voit pointer ainsi progressivement l'émergence de sa certitude : le malheur de voir la vérité en face, ce n'est pas se convaincre qu'on voit la vérité en face : souvent nous compensons et même nous surcompensons l'annonce d'un malheur par la satisfaction d'avoir vu avant tous les autres que nous y sommes parvenus : " Je m'en doutais bien ! je le savais ! C'est sûr et certain ! "

      Milton dans le Paradis perdu décrit le passage des cohortes d'anges déchus  II, vers 618-622

Analyse spectrale de l'improbable : pourquoi y-a-t-il de l’improbable plutôt que rien ou plutôt que quelque chose (de probable) ? La faible probabilité de certains risques n'empêche pas de pouvoir spéculer sur les conséquences de leurs gravités : avec certains risques, nous avons tout à perdre. (C'est l'inverse du pari de Pascal). On est dans l'improbable parce qu'on ne peut rien prouver.      Elles traversent maintes vallées sombres et tristes,

      Maintes régions douloureuses,

Par dessus, maintes Alpes de glace et maintes Alpes de feu :

Rocs, cavernes, lacs, mares,fondrières, antres et ombres de mort, Univers de mort.

Mieux vaut régner en Enfer que servir au Paradis

Politiques de l’improbable : les cohortes improbables ou les anges déchus des déglingues de l’Occident.

L'homme improbable   Politique de l'esprit de Paul Valéry Comment l'improbable devient ce qu'il y a de plus significatif : quand on cherche une probabilité, on cherche une éclaircie, une lumière qui se présente comme l'évidence heureuse d'une intellligibilité mais quand nous sommes réduits à chercher un degré d'improbabilité, on a tendance à s'étourdir ou même à s'estourbir ?

Quem deus vult perdere, prius dementat : quand le dieu veut perdre quelqu'un, il le rend fou. L'improbable n'est pourtant pas irrationnel.

La mue, cela se fait à l'envers dans ce monde inventif... Il n'y a plus rien, Léo Ferré

Pascal : << travailler pour l'incertain >>. L'idée de vouloir attacher une preuve de probabilité à ce qu'i y a de plus improbable.

 
                           Toute détermination qui ne comprend pas sa part d'indétermination est une certitude rigide (l'incertitude ne saurait être seulement ou la marque de notre ignorance ou l'ectype d'un archétype négatif) : la notion d'improbable semble toujours d'avance chargée d'un affect déceptif : la part d'indétermination est la part réfléchissante de nos jugements sur nos expériences. De l'homme improbable au héros de Balthazar Gracian en passant par le parésiaste de Michel Foucault.

         van-gogh-8.jpg Si l'Histoire n'avoue jamais (elle ne saurait jamais prétendre savoir où elle va, Maurice Merleau-Ponty, Humanisme et terreur), en revanche, elle désavoue souvent ceux qui meurent dont on oublie la mémoire : ce n'est plus tant l'impossible qu'il faudrait désirer, que l'improbable. Au travers de l'improbable, l'Histoire ouvre la brèche entre le passé et le futur qu'on appelle événement. (Hannah Arendt, préface de La crise de la culture).

                                  La religion en ce sens est l'énigme de notre entrée à reculons dans l'Histoire. L'identité d'inspiration qu'on parvient à établir sur la foi des théologies, des cosmogonies ou des sotériologies constituées, on l'appréhende beaucoup mieux en revanche au plan des attitudes et de l'expérience religieuse. (p 11 et 46 : Le désenchantement du monde, Marcel Gauchet).

       Votre tenue mon ami, est beaucoup trop extravagante. Vous devez apprendre à mieux comprendre l’époque dans laquelle il vous est donné de vivre. Vous laissez voir trop distinctement, votre vie intérieure, votre état d’esprit. Vous vous complaisez à exhiber en pleine rue vos fantaisies et vos rêveries. Personne ne doit voir sur vous que vous êtes original et singulier, que vous avez de l’imagination et que vous êtes insolite. Sans quoi, vous serez jugé partout en mauvaise part et votre sans-gêne ne vous vaudra à chaque pas que des déboires.  Robert Walser, Wurzbourg ; Vie de poète, traduction de Marion Graf, 2010.  

 

                Jusqu’à récemment, nos politiques ont surtout été inspirées par des statistiques simples et même parfois simplistes : autrement dit, elles s’appuyaient essentiellement sur des probabilités qui projetaient dans l’avenir les tendances qui avaient pu être repérées dans le passé  : dans cette optique, l'évolution vers les états les plus probables semble être une loi générale à laquelle il n'est pas possible d'échapper : à l'inverse, l'improbable est un défi lancé à toutes les probabilités sociologiques ou psychologiques : il fait rupture : (Gabriel Tarde : Les lois de l'imitation (1890) : les probabilités se propagent par imitation, les improbabilités par contre imitation : << il faut que la statistique comme l'archéologie ait conscience à la fois de sa vraie utilité et de son insuffisance réelle, qu'elle sache où elle va, où elle doit aller et qu'elle ne s'abuse pas sur les raisons profondes des chiffres qu'elle produit >>. p 118 ; La logique sociale 1895). (Voir les deux tomes de sa Psychologie économique (1900) et le livre de Yves Citton : Esquisse d'une économie politique des affects). Le réel est cohérent et probable parce qu'il est réel, et non réel parce qu'il est cohérent ; l'imaginaire est incohérent ou improbable parce qu'il est imaginaire, et non imaginaire parce qu'il est incohérent. (Le visible et l'invisible, p 63). Le gouvernement des hommes et l’administration des choses et des affaires courantes s’appuyaient essentiellement sur les fiabilités prévisibles de leurs conduites observées dans le passé pour les envisager dans l’à venir. Sans doute, il n’avait échappé à personne que cela ne marchait pas toujours, aussi nous nous avons dû nous aviser progressivement qu’un grand nombre de nos comportements obéissent à d’autres motivations que celles du bon sens : à des injonctions paradoxales qui déjouent les routines habituelles qui semblaient inscrites dans les mœurs. Mais personne jusqu’alors n’avait oser imaginer qu’il nous faudrait en venir pour éclairer les anticipations sur le futur non plus tellement par des planifications linéaires que sur des systématiques qui entreprennent d’intégrer à différents niveaux nos manières de plus en plus improbables de nous mettre en scène : dans cette optique, on peut estimer qu’à l’inverse de la démarche constructive des probabilités, ce dont nous avons le plus besoin pour comprendre ce qui se passe, c’est un modèle capable de décrire la déconstruction (ou décohérence) de nos manières syncrétiques spontanées de nous mettre en scène : dans cette optique, il semble qu'on puisse évoluer vers des états moins probables. La Fatuité moderne aura beau rugir, éructer tous les borborygmes de sa ronde personnalité, vomir tous les sophismes indigestes dont une philosophie récente l'a bourrée à gueule-que-veux-tu, cela tombe sous le sens que l'industrie, faisant irruption dans l'art, en devient la plus mortelle ennemie, et que la confusion des fonctions empêche qu'aucune soit bien remplie. (Charles Baudelaire, Curiosités esthétiques p 79). Nos formes de vie sont improbables et même de plus en plus improbables à plusieurs titres : d’abord parce que leurs nouveautés présentent du point de vue de l’individu une espèce d’inquiétante étrangeté (unheimlich) mais surtout parce que du point de vue de la vision globale de ce qui arrive et de ce qui se passe dans le monde, la situation paraît inqualifiable tant elle paraît dans des  gestations inédites et inouïes. Les déglingues de l’Occident sont les symptômes de cet état de chose : toutes ces formes d’incivilités ou de désinvoltures débridées qui confinent parfois à la sauvageonnerie : ce style mal poli, cela fait de moins en moins monde commun, cela vise à transgresser, à défier ou même à remettre en cause toujours davantage les ordres établis de la décence commune ou même des autorités légitimes. Il est vrai que sans doute, << nous nous gouvernons à peu près toujours à mi chemin entre l’inflexibilité bornée de l’homme qui n’ajuste jamais ses règles aux situations qu’il vit, et l’indétermination névrotique de l’homme qui hésite souvent parce qu’il craint toujours de ne pas avoir tout à fait compris ce qu’il en est de cette situation >>. (Emmanuel Halais, Individualité et valeur dans la philosophie morale anglaise, p 25)

 

                 Au singulier Le déclin de l’Occident de Oswald Spengler, de sinistre mémoire, on peut préférer aujourd’hui ce pluriel : les déglingues de l’Occident pour désigner cette reconfiguration perpétuelle des mentalités qui se déroule sous nos yeux dans l’actualité (nous sommes bien loin de la détresse tendre et ironique du monde en dissolution des personnages de Tchékov). Sinistre par toutes ces formules qu’il utilise qui s’appuient sur des prétendus caractères raciques des populations qu’il considère ; ce livre n’en présente pas moins un certain nombre d’intérêts : de sinistre mémoire (c’est le caractère de cette époque qui sans doute était le plus sinistre : les années vingt et trente) encore que, parce que après tout, nous devons bien convenir que le tableau qui y est dressé de l’état du monde des années vingt du vingtième siècle, est tout de même assez saisissant. De même qu’il paraît inapproprié de parler de la singularité d’un progrès d’un développement ou même d’une croissance, de même, il semble bien qu’il soit devenu inadapté de désigner la diversité des contrariétés que rencontrent nos sociétés par un terme unique (la notion de déclin) : le déclin renvoie à une régression massive et tragique (voir le film de Olivier Hirschbiegel La chute) ; la déglingue renvoie plutôt à des déprimes légères, éphémères qui relèvent davantage encore de la farce ou de la comédie que du tragicomique, parfois à des espèces variées d’incohérences générales ou mieux même à la légitimation de certaines formes extravagantes de débraillés cyniques. Si le débraillé peut comme le négligé avoir quelque chose de décontracté qui n’est pas toujours pour nous déplaire, il finit aussi parfois par perdre tout sens de la retenue et de la décence : en tout état de cause, ce à quoi nous voudrions mettre en exergue ici, c’est à quelque chose de plus marqué, c’est à toutes ces formes d’insignifiances qui semblent se répandre : nous nous efforcerons de mettre en évidence << tous >> les avant-goûts du mauvais goût de ces insignifiances mutines artistes ( Philippe Muray : Après l'histoire : les mutins et les matons de panurge). Orwell avait assez bien remarqué la ficelle un peu grosse d’un bon nombre de ces procédés : l’indécence héroïsée des faux rebelles. Sans doute, on a toujours raison de se révolter, pourtant cette espèce de deus ex machina de la révolte obligée finit par faire poncif. Les déglingues des temps modernes ne sont rien d’autre en réalité que ces révoltes exacerbées des segments bariolés des populations de nos sociétés multitudes : à ce style pontifiant de Spengler, il faut opposer les styles révoltés et révoltants d’Antigone ou de ce documentaire sur les révoltes noires des Etats-Unis au travers de la musique : Black music (22 et 29 avril 2010 sur ARTE) ; il faut opposer au progrès lissé de nos évolutions, les ruptures du Blow up d’Antonioni et quelques autres rebellions bien senties. Les expressions de nos révoltes font déglinguées parce qu’elles se présentent d’abord à nous sous les formes de l’absurde. Les logiques de nos crises sociales, financières ou personnelles sont absurdes : elles nous forcent à avancer à reculons. Nous voyons mieux ce que nous voulons (dire) à partir de ce que nous ne voulons pas (dire). Nous avons partout des candidats ou des présidents improbables : l’absolument improbable, le sublime improbable est pour bientôt. La démolition des héros chasse les rêves du probable : elle crée de l’équivoque, de l’ambivalence, de l’ambiguïté, des précieuses ridicules et même de l’impayable : une pointe d'amertume. (Morales du grand siècle de Paul Bénichou)

 

                L'improbable est aussi assez souvent la marque d'une certaine impuissance ou plus exactement le symptôme de certains sentiments d'impuissance (degré de fureur et de ressentiment) qui fait suite à la prise de conscience que les richesses ne sont plus indexées au mérite. Dans toutes ces situations de mauvais genres où pour arrêter le carnage, il faut un carnage : la haine muette de ceux qui n’ont plus de retour, de ceux qui veulent annuler ceux qui les nient et les méprisent. << Je me déclare en état de guerre totale avec la société >> dit Fritz Zorn dans Mars : je m’insurge contre les conditions qui nous sont faites. Dans les Lettres du front d’une société d’individus qui se font la guerre à eux-mêmes, on perçoit toute l’outrance de nos situations. La révolte des révoltés n’en finit plus de revendiquer ses droits naturels à la reconnaissance. La vie qui s’ébroue entend bien se faire écouter : Hiroshima est partout. Harold Pinter ne respectait aucune règle sauf celles du cricket. Tout ira bien pourvu que tout aille mal. Comme l’annonce Fight club de David Fincher fait à partir du roman de Chuck Palahniuk et le fight club de François Angelier à propos de La logique du massacre : derniers écrits des tueurs de masse.Ed. Inculte, Paris - 28 avril 2010. Traduit de l'américain par Eva Roques. Le 20 avril 1999, deux adolescents s’introduisent dans leur lycée, et assassinent froidement une dizaine de leurs camarades et professeurs. Avec « le massacre du lycée Columbine », le monde entier découvre les mass murderers (tueurs de masse), qui échappent aux typologies médiatiques et psychologiques habituelles. Ces drames inspireront des réalisateurs comme Michael Moore et Gus Van Sant (Paranoïd park). D’une violence extrême, ces événements sont souvent traités par les médias de manière sensationnaliste. Aucun ouvrage en France ne s’est encore penché sur ce phénomène. Les documents bruts retranscrits dans La Logique du massacre (journaux intimes, blogs, lettres, etc.) révèlent le besoin de ces meurtriers d’être compris. Ils y expriment leur inadéquation au monde, à travers une parole politique désespérée, radicale et confuse, et/ou l’expression d’une intense frustration sexuelle et sentimentale. Ce recueil permet au lecteur de saisir ce que ces hommes ont en commun, et ce qu’ils disent de notre société. Des documents exceptionnels et inédits, à lire en parallèle de l’essai de Joan Burbick sur la culture des armes aux États-Unis, Gun Show Nation, à paraître au même moment. Dans la culture des armes aux USA, les assassins règlent leur mal être par des délires qui se veulent mystiques. Meurtriers indétectables niés par leur famille, niés par leur profession, ils ne génèrent plus aucun effets, ils n’ont plus aucun magnétisme, aucune capacité à irradier quoi que ce soit ; dans leur solitude, il sont réduits au néant, ce sont des être sous vides : aussi dans leur incapacité à exister, ils sentent bientôt le besoin d’en découdre et de faire du raffût. La dernière manière d’exister, c’est la mort, il faut s’auto annuler et auto annuler ceux qui les entourent qui les nient. Ils sont dans un cul de sac. Leurs graphies sont aussi chahutées que leurs logorrhées sont délirantes. Partout des déglingues d’exemples qui se juxtaposent (dans Main Stream de Frédéric Martel par exemple) qui ne sont même plus exemplaires et qui constituent même des contre exemples avérés. (inspiré d'un commentaire de François Angelier) L'indécence du monde : la crise, c'est eux, la solution, c'est nous

 

                Le travail de l'improbable ou les injonctions paradoxales exacerbées  : flexions, réflexions et inflexions du paradoxe par l’oxymore. L’improbable est notre condition, la déglingue notre apanage et les démocraties modernes (sans traditions) procèdent à partir de ces deux là désormais, les ressorts nécessaires pour prévenir et affronter tous les revers possibles et imaginables, y compris ceux de la médiatisation de la catastrophe écologique (im) prévisible du réchauffement climatique. De l’improbabilité des choses, on appréhende : on y aspire mais on la redoute. Qui dira assez le mal de prendre un oxymore pour un paradoxe : comme l’explique Bertrand Méheust dans ce petit pamphlet La politique de l’oxymore : ce n’est pas de l’écologie libérale et du « développement durable » que viendra la réponse : ces discours consistent à graver dans l’esprit du public l’idée que l’écologie est compatible avec la croissance et même mieux, qu’elle la réclame afin de masquer l’incompatibilité entre la société globalisée dirigée par le marché et la préservation de la biosphère. Un univers mental ne renonce jamais à lui-même si des forces extérieures ne l’y contraignent pas. Le système a saturé tout l’espace disponible et est à l’origine de tensions de plus en plus fortes. Pour les masquer, ceux qui nous gouvernent pratiquent une politique de l’oxymore. Forgés artificiellement pour paralyser les oppositions potentielles, les oxymores font fusionner deux réalités contradictoires : « développement durable », « agriculture raisonnée », « marché civilisationnel ou projet civilisationnel », « flexisécurité », « moralisation du capitalisme », « mal propre », etc. Ils favorisent la destruction des esprits, deviennent des facteurs de pathologie et des outils de mensonge. Plus l’on produit d’oxymores et plus les gens sont désorientés et inaptes à penser. Utilisés à doses massives, ils rendent fou. Ainsi, si le pouvoir fait rupture, c’est par la production et l’usage cynique, sans précédent dans la démocratie française, d’oxymores à grande échelle. La déglingue se remarque le mieux à cette espèce de rhétorique qui n’est pas sans rappeler cette ambiance du dernier homme (après moi, le déluge), d’un << sauve qui peut >>, qui se profilait depuis les interprétations parfois délirantes de certains livres de Jean Baudrillard ou de Paul Virilio, et qui s’amplifie encore. Ce climat, c’est encore celui de ce film Les anges déchus de la planète Saint Michel de Jean Schmidt qui en 1978 produisait ce documentaire sur la désillusion assez glauque des usages de stupéfiants à grande échelle. Flexions, réflexions et inflexions de l’oxymore. Les sociétés contemporaines, depuis quelque temps n’en finissent plus de décliner des conjugaisons curieuses et des renvois insolites en ayant recours à des automates grammairiens qui font l’effet de chiffons rouges : le mot d’ordre << Soyons réalistes, demandons l’impossible >> en est un échantillon à peu près parfait ; << soyez spontané >> en est un autre. Réussir à faire son propre malheur, c’est réussir à échouer : les parties de poker menteur qui consistent à tout faire pour favoriser l’élection de ses adversaires n’en finissent plus. Les charmes discrets mais envoûtants de l’oxymore font merveilles.  La politique de l’oxymore se nourrit de contradictions : prétendre revaloriser le travail mais refuser la moindre augmentation des salaires. Prôner l’effort et le mérite mais favoriser fiscalement les revenus des capitaux et l’héritage qui n’exigent pas d’efforts démesurés pour les gagner. Limiter la vitesse pour les conducteurs, mais ne pas brider les moteurs des automobiles. Faire de la publicité pour une barre riche en sucres et en graisses et écrire en dessous « pour votre santé, manger moins gras et moins sucré ». Multiplier les informations alarmistes et les faits-divers en boucle puis exhorter les gens à « mieux gérer leur stress ». Prôner le goût du risque mais mener une politique obsessionnellement sécuritaire. Parler de simplification administrative et produire une nouvelle loi et dix décrets par jour. Considérer que les services publics ne servent pas à grand-chose et déplorer que leurs grèves bloquent le pays. Vouloir la libre circulation des marchandises et des capitaux mais fermer les frontières à la libre circulation des humains. Cela finit par rendre fou. Effectivement, oxymore signifie étymologiquement à peu près « folie aigre douce amère » : une folie qui préfère s’enivrer de contradictions plutôt que d’accepter que son mode de pensée soit contredit. Dans trois livres assez remarquables : Le culte de la performance, L'individu incertain et La fatigue d'être soi, Alain Ehrenberg dresse un tableau clinique de cet état de chose où l'individualisme contemporain est le produit de deux mutations parallèles : privatisation de la vie publique et publicisation de la vie privée.

 

                La puissance qui est à l’œuvre au travers de l’improbable, on en circonscrit peut être le mieux toutes les limites au travers de la théorie de la connaissance de John Locke. Dans un chapitre de l’Essai sur l’entendement humain, sur De l’erreur, John Locke commence par remarquer que << notre assentiment est normalement fondé sur la vraisemblance, c'est-à-dire sur la probabilité que les choses arrivent >>. Mais il remarque que << quantité de gens, même de ceux qui pourraient faire autrement, passent leur vie sans s’informer des probabilités qu’il peut sembler qu’il devrait leur importer de connaître >>. De sorte qu’<< il arrive que des doctrines probables ne sont pas toujours reçues avec un assentiment proportionné aux raisons qu’on peut avoir de leur probabilité >>. << Il y a même ajoute-t-il une autre sorte de gens qui lors même que les probabilités réelles leur sont clairement exposées à leurs yeux, ne se rendent pourtant pas aux raisons manifestes sur lesquelles ils les voient établies mais le donne (leur assentiment) à l’opinion la moins probable >>. De ce point de vue, l’improbable est à peu près une exception à la règle de la vraisemblance où c'est l'invraisemblable qui devient le plus vraisemblable : Locke voit dans l’enthousiasme la forme la plus exacerbée de ce délire de l’improbable. Comme ces sectes qui s’obstinent avec d’autant plus d’acharnement à attendre avec certitude la fin dernière de l’apocalypse qu’elle se fait plus attendre. Locke met en exergue de son Essai sur l'entendement humain, cette citation de Cicéron extraite du livre I du De natura deorum :  << Qu'il est beau d'être prêt à avouer de ne pas savoir ce que vous ne savez pas plutôt que de développer sur ces matières des choses qui pourraient vous déplaire >>. Il s'agit pour Locke de mettre des limites à notre tendance à interpréter de peur de tomber dans des délires d'interprétation : si le degré de probabilité le plus haut peut être identifié avec la certitude, le probable et non certain qui n'est cependant pas tout à fait impossible peut être déclaré hautement improbable dès lors qu'il se raréfie. C’est un point que Kierkegaard a thématisé d'une autre manière : l’improbable thématise les décrochages et les faux raccords de nos expériences vécues à des paradoxes. Dans La reprise, il décrit une espèce de travail de l’improbable où << dans un combat dialectique, l’exception fait irruption dans le général : l’exception injustifiée se reconnaît précisément à ce qu’elle veut éluder le général >>. La lutte elle-même de la singularité qui se veut exceptionnelle avec le général est un prodigieux conflit entre la colère et l’impatience du général avec le dérèglement et le tumulte qui s’ensuit que l’exception occasionne. L’indocilité de l’exception qui défie le général transforme ses aveux de faiblesse (à ne pas savoir se plier à la règle générale) et même parfois sa morbidité (seule contre tous), en force. En effet, l’exception qui se tient ferme dans son adversité au général conquiert peu à peu sa légitimité pour peu qu’elle lui tient tête. En vérité, le général est une exception qui a fait un coup de force et qui a réussi à imposer se vues. C’est sa capacité à polémiquer avec le général qui l’approprie et la réconcilie avec le général. Si l’exception n’a pas la puissance d’une passion, elle ne se justifie guère, elle a donc à se frayer la voix de ses raisons et de ses justifications. Dans le chapitre qu'elle consacre à répondre à la question : Qu'est-ce que la liberté, Hannah Arendt dans La crise de la culture en vient à réhabiliter paradoxalement le miracle comme forme de l'<< improbabolité infinie >>. << S'il est vrai que l'action et le commencement sont essentiellement la même chose, il faut en conclure qu'une capacité d'accomplir des miracles compte aussi au nombre des facultés humaines : il est de la nature même de tout commencement qu'il fasse irruption dans le monde comme une improbabilité infinie : c'est précisément cet infiniment improbable qui constitue en fait la texture même de tout ce que nous disons réel. Car du point de vue des processus de l'univers, de la nature et de leurs probabilités statistiquement accablantes, l''évolution de l'homme même à partire de processus de la vie organique sont toutes des improbabilités infinies, ce que l'on appelle couramment des miracles >>. << C'est à cause de cet élément du miraculeux présent dans toute réalité que les événements aussi précisément que nous les fasse prévoir la crainte ou l'espoir, nous laisse toujours sous le coup de la surprise >>. << L'improbabilité infinie met en lumière le fait que ce que nous appelons réel dans l'expérience ordinaire a le plus souvent surgi grâce à des coïncidences plus étranges que la fiction >>. << Ce serait pure superstition d'opérer des miracles, d'espérer l'infiniment improbable dans le contexte de processus historiques et politiques automatiques, bien que cela même ne puisse jamais être exclu >>. << L'histoire par opposition à la nature, est pleine d'événements : ici, le miracle de l'accident et de l'improbabilité infinie se produit si fréquemment qu'il peut sembler étrange de parler de miracle >>. << La différence décisive entre les improbabilités infinies sur lesquelles repose la réalité de notre vie terrestre et le caractère miraculeux inhérent aux événements qui établissent la réalité historique, c'est que dans le domaine des affaires humaines, nous sommes les auteurs de ces miracles >>. (p 220, 221, 222)

 

                Compossible et improbable. Popper dans La connaissance objective (p 77) dans un article consacré à Hume (Ma solution au problème de l’induction) s’en prend aux certitudes du principe de raison suffisante de Leibniz pour lequel on peut donner une raison pour toute vérité : si nous ne voyons pas de raison suffisante pour croire (à la vraisemblance du probable), c’est une raison suffisante de ne pas croire >>. A l’inverse de Descartes, pour Leibniz, il est improbable, c’est même une illusion de croire qu’on puisse s’appuyer sur un sentiment intérieur pour affirmer la nécessité d’une décision ou d’une préférence. Nous n’apercevons pas toujours les causes ou les raisons souvent imperceptibles dont nos résolutions dépendent (Théodicée, p 132). Leibniz admet bien qu'il puisse y avoir des propositions contingentes qui rendent compte in mente de la contingence in re, mais il souligne aussi qu'une proposition vraie est une proposition qui peut être démontrée. La situation des propositions contingentes, c'est que nous sommes incapables de démontrer qu'elles sont vraies mais que nous sommes aussi tout autant incapables de démontrer l'impossibilité de démontrer qu'elles sont vraies. Nous sommes capables éventuellement de voir leur vérité de fait mais nous sommes incapables de trouver les raisons qui font qu'elles sont telles. (Bien des propositions qui pourraient être vraies, sont fausses et bien des propositions qui pourraient être fausses, sont vraies). Pour Leibniz, ce qui est possible, c'est ce qui est compatible avec le meilleur : du compossible à l'improbable, il y a la distance qui sépare l'essence (in mente ou de dicto) de l'existence (in re). Là où nous ne suivrons pas Jacques Bouveresse (cours du 31 mars 2010 sur Dans le labyrinthe de la Nécessité, de la Contingence et de la Liberté), c'est quand il affirme que << à partir du moment où il existe, il est nécessaire >> : avec Hume (Enquête sur l'Entendement Humain p 246, GF), il vaut bien mieux soutenir que << Tout ce qui est, peut ne pas être : l'idée d'inexistence est une idée qui sans exception est aussi claire et distincte que l'idée d'existence. La décohérence (cohérence, adhérer ensemble ; décohérence, désagrégation de cette adhésion) s'attaque donc au problème des successions de disparitions et d’apparitions des états superposés des niveaux macroscopiques des certitudes des opinions de nos sociétés. Son objectif est de démontrer que le postulat de réduction des masses de populations à des identités corporatistes organiques est caduque (Durkheim : De la division sociale du travail). L'idée de base de la décohérence est que les systèmes de connaisance des opinions des corporations ne doit pas être considéré comme isolé, mais en interaction avec un environnement possédant un grand nombre de degrés de liberté. Ce sont ces interactions qui provoquent la disparition rapide des états superposés qui tendent à effacer les différences. En effet, selon cette théorie, chaque éventualité d'un état superposé interagit avec son environnement ; mais la complexité de ces interactions est telle que les différentes possibilités deviennent rapidement incohérentes (autrement dit dissonantes). On peut comprendre logiquement que chaque interaction  met en phase les fonctions de probabilité des états les unes par rapport aux états des autres, jusqu’à ce qu’elles soient sinon compatibles du moins pas incompatibles. En conséquence, la probabilité d'observer un état superposé tend rapidement à rencontrer de grandes difficultés. Seuls restent observables les états dit « purs », correspondant aux états observables macroscopiquement. Les interactions et l'environnement dont il est question dans cette théorie ont des origines très diverses. Typiquement, le simple fait d'éclairer la connaissance d’un système institutionnel suffit à provoquer une décohérence. Même en l'absence de tout éclairage, il reste au minimum les individus du fond diffus du sens commun qui provoquent également une décohérence, bien que très lente. Naturellement, le fait de mesurer volontairement un système institutionnel provoque des interactions nombreuses et complexes avec un environnement constitué par l'appareil de mesure. Dans ce cas, la décohérence est pratiquement instantanée et inévitable. Donc, pour la théorie de la décohérence, l'effondrement de la fonction de la connaissance d’une corporation donnée n'est pas spécifiquement provoquée par un acte de mesure, mais peut avoir lieu spontanément, même en l'absence d'observation et d'observateurs. Ceci est une différence essentielle avec le postulat de réduction de masse qui ne spécifie pas comment, pourquoi ou à quel moment a lieu la réduction, ce qui a ouvert la porte à des interprétations mettant en jeu la conscience et la présence d'un observateur conscient. Ces interprétations deviendront sans objet si la théorie de la décohérence devient suffisamment complète pour préciser ces points : il s’agit d’abord pour ce faire, de prendre en compte la distinction entre la théorie cohérentiste de la justification et la théorie cohérentiste de la vérité telle qu’on la trouve chez Arnold Davidson dans Actions et Evénements (essais 12, 13 et 14).

 

                  Entre hasard et nécessité, la notion d’improbable désigne à notre attention le fait que les choses sont assez incertaines et plutôt indécises : il n’y a que du peut-être, que du peut-être bien que…cela va arriver ou pas. Rien n’est si sûr, rien ne saurait être si bien assuré, il faut nécessairement que tout soit à peu près compromis entre un peu d’être et beaucoup de néant ou l’inverse : << Le ciel et la terre sont indifférents aux passions humaines. Pour eux, les vivants ne sont que des chiens de paille. Éphémères. Entre le ciel et la terre, l'espace est comme un soufflet de forge. Il est vide mais pas épuisé. Soit qu'il s'enfle, soit qu'il s'abaisse, il est toujours prêt à servir, toujours inépuisable. L'homme qui veut saisir l'espace n'étreint que le vide. Mieux vaut se fondre dans ce vide, dans ce vide immense, dans ce vide démesuré. Le chemin, c'est ce vide sublime >>. Le Tao-tö-King dit assez bien cela. Pourtant de ce que les choses soient assez incertaines et plutôt indécises nous ne devons conclure ni qu’elles ne sont pas du tout, ni qu’elles ne sont rien : les carrières des choses se dessinent à la faveur d’une maïeutique qui les fait naître à la faveur d’un je ne sais trop pourquoi. Soutenir que les choses sont légères et frivoles, c’est prendre au sérieux leurs contingences. Il n’y avait pas de nécessité à la nécessité : il n’y a que des accidents et des accidents d’accidents : on a souvent méconnu ces vérités. L’improbabilité des choses ne devrait pas être non plus la nostalgie d’une nécessité perdue comme celle qui est l’œuvre dans Le déclin de l’Occident. L'improbable est une espérance qui craint d'avance d'être déçue : à ce titre, elle est intimidée, elle (s')appréhende. Dans les télescopages des tactiques du conatus et des stratégies de la monade, Spi(no)niz et Leibnoza sont amenés à penser que si la raison sans la liberté n’est pas raisonnable, la liberté sans raison est insupportable. L’Histoire ne saurait être qu’un dépassement dangereux, que le franchissement de la ligne continue : on veut aller trop vite, on se précipite. Plus question de se permettre d’allèguer << après cela, donc d’après cela >>. Le champ de force d’une conviction subordonne à sa tension tous les esprits qui s’y trouvent. (Tome 1, Le déclin de l’Occident, Oswald Spengler, p 393) L'homme improbable, c'est aussi celui qui éprouve la honte prométhéenne : un trouble de l'auto-identification : un rapport avec soi-même qui échoue, un acte réflexif qui dégénère pour n'être plus qu'un état intimidé. (Gunther Anders : L'obsolescence de l'homme, p 84, traduction de Christophe David).

 

                Les déconstructions de nos états syncrétiques. Dans Physique et philosophie de l’esprit, (p 72 à 112) et dans De l’intérieur du monde (Pour une philosophie et une science des relations), Michel Bitbol au travers de la description de cette notion de décohérence, donne un modèle théorique qui rend assez bien compte de ce dont nous parlons : après avoir déterminé le statut des connaissances par des probabilités (par des inductions), il en vient en quelque sorte à préciser non plus tant des propensions comme Popper l’avait fait, mais bien les processus de déconstruction/reconstruction qui s’opèrent dans les interactions d’un sujet pourvu de talents/dispositions agissant et réagissant dans un champ de forces sociales. Michel Bitbol repense dans ces livres, la théorie de la connaissance pour l’adapter aux découvertes de la science du XXe siècle. La physique contemporaine rend cette démarche nécessaire : elle porte de moins en moins sur des choses et de plus en plus sur des relations. Si bien que l’image baroque de relations flottant en l’air sans appui sur les choses, d’un "sourire de chat sans chat" pour paraphraser Lewis Carroll, se fait jour de manière insistante. Comment comprendre des relations qui préexistent aux objets ou aux propriétés qu’elles unissent ? Une analogie est mobilisée pour élucider ce mystère : si la droite et la gauche se définissent par leur relation mutuelle, c’est que cette relation est orientée à son tour relativement à notre corps. Ici, comme en physique quantique, seul un supplément de philosophie relationnelle permet de résoudre les énigmes des relations. Seule la reconnaissance de notre situation à l’intérieur du réseau interconnecté du monde lève les paradoxes nés du rêve de le voir comme de l’extérieur. Le problème est qu’une résistance culturelle, dont le fil est retracé de Platon jusqu’à Russell, fait obstacle à l’indispensable radicalité de la pensée des relations. Une thérapie de cette résistance est cherchée dans la philosophie de Nagarjurna, penseur indien du 11e siècle, auteur de référence de l’école bouddhique de la "voie moyenne". Car cette philosophie, loin de minimiser la corelativité des phénomènes et leur absence (ou vacuité) de nature propre, la prend pour prémisse de sa tension éthique vers une manière d’être ouverte et disponible. Une réflexion originale permettant de comprendre comment une épistémologie peut avoir partie liée avec la quête existentielle. La situation que décrit Pierre Bourdieu dans les Méditations Pascaliennes est aussi de cet ordre : c’est celle d’un homme probable : la condition qui lui est laissée, qui lui est allouée au bénéfice des certitudes de la théorie, fait à nos yeux la part trop belle à un certain déterminisme statistique. La condition de l’homme improbable que nous entreprenons de décrire est toute autre. (Quatrième de couverture de De l’intérieur du monde)

 

                                La preuve de probabilité que nous en sommes réduits à attacher à l’improbable se présente comme une mauvaise espérance, une fausse espérance ou une modalité de l’illusion qui concerne aussi bien notre rapport au crédit qui gouverne les modes de vie d’une majorité des populations des classes moyennes qui nous entourent que nos attentes au redressement de l’économie, que nos craintes vis-à-vis du réchauffement climatique ou que les angoisses que suscitent les prétendues crises qui sont brandies par les financiers. Elles font office de ce que Orwell avait désigné par les mauvaises fées marraines de nos relâchements : leurs annonces résonnent comme des rappels à l’ordre (les bonnes fées des romans de Dickens). Elle est devenue une espèce de wishfull thinking qui ne marche plus ou du moins qui éprouve une certaine réticence parce qu’il a épuisé ses capacités de faire illusion. Nous sommes désillusionnés d’avance, nous n’y croyons plus. L’analyse spectrale de l’improbable à laquelle donne lieu l’examen des déglingues de l’Occident n’est pas tout à fait réjouissante tant que nous ne sommes pas en mesure de prendre un malin et cruel plaisir à nous immuniser au mal. L’oubli et la négligence de l’éthique, sa redécouverte tardive au travers du souci de soi (qui s’oppose au << connais toi, toi-même >>),  ruine la vie d’un bon nombre de nos contemporains. La fascination pour le cynisme ou pour le nihilisme se caricature par des déclarations péremptoires. Nous avons fait de Rousseau, le chien de garde des Lumières. Aller droit aux principes en s’opposant à la flatterie par une éloquence sobre en méprisant tout ce qui est scolaire et en interpellant directement par une prise de parole publique. Il faut opposer au nihilisme de l’arraisonnement, le sacrifice du cynique. Le moment cartésien, c’est le moment où nous postulons que c’est la vérité de la connaissance qui sauve le sujet. (Parole vive qui veut échapper à la paranoïa et qui sert d’alibi) Examen de conscience et direction d’intention. Il nous a, en effet, habitué à bien d’autres oxymores politiques, qui semblent constituer l’horizon indépassable de sa réflexion politique. On rappellera les principaux. Le cynisme, c’est le contraire de cette capacité à s’exposer par la prise de parole, la parésia (le franc parler de la franchise de donner accès à la vérité et de dire le vrai) que Socrate utilise et qui s’oppose à son ironie. La parésia ne parle pas de compétence, elle est une esthétique de l’existence et elle indique l’être de l’âme à qui elle entend donner du style à son existence et donner de l’existence à son style. S’adresser plus à nos modes de vie qu’à notre intelligence ou à nos compétences. Dire ses quatre vérités au monde, c’est décliner les quatre modalités de la vérité : la vérité, c’est ce qui n’est pas dissimulé, c’est ce qui n’est pas altéré, c’est ce qui est droit et direct, c’est ce qui est identique à soi et incorruptible. Héros du cynisme qui a floué le système et qui s’est attaché à se déprendre de tous les assujettissements, le paresiaste triomphe.

 

                Faut il se guérir de l'improbable  ? S’inventer soi-même, c’est-à-dire devenir majeur. Il faut d’abord développer une attitude archéologique contre le pouvoir de soumission immanent aux vérités des sciences humaines. On devient alors conscient de la volonté de vérité de certains discours et on apprend à se demander devant telle ou telle vérité sur nous-même « qui l’a dit ? », et « pourquoi l’a-t-il dit ? ». Ces deux questions mettent en évidence que toutes les vérités sont incarnées et que celui qui les profère est intimement lié à elles. C’est le sujet de véridiction qui importe pour savoir s’il faut justement accorder du crédit à une vérité. Et puis, avec le discours que l’on choisit, il faut construire son propre territoire, expérimenter dans son jardin propre. « Il faut creuser, disait Foucault, pour montrer comment les choses ont été contingentes, pour telle ou telle raison intelligible mais non nécessaire. Il faut faire apparaître l’intelligible sur fond de vacuité et nier une nécessité, et penser que ce qui existe est loin de remplir tous les espaces possibles. Faire un vrai défi incontournable de la question : << à quoi peut-on jouer ? >> et << comment inventer un jeu ? » La paresia n’est pas un mode de persuasion, ni un mode de démonstration, elle n’est pas, de ce point de vue, située dans le discours. Parce que la paresia est une connexion entre ce qu’on dit et ce qu’on fait, ce que l’on est. Le « paresiaste » est quelqu’un à qui on reconnaît qu’il dit la vérité parce que son mode de vie en témoigne. Ce n’est pas du tout une technique que l’on peut apprendre. Pour devenir « paresiaste », il faut être courageux. Car il faut du courage pour s’exposer à ne pas être compris, à rester seul, à défier les puissants. Socrate était un « paresiaste ». C’était quelqu’un chez qui la pensée et l’action devaient aller ensemble. Sa vie devait être l’épreuve de la vérité de son discours. Et la mort de Socrate démontre justement jusqu’où peut aller le courage d’un « paresiaste ». Pour Platon, cette mort fut une indication pour chercher la vérité hors du contexte subjectif de qui la proférait. Le chemin d’une vérité universelle commença alors. Cependant la pratique « paresiastique » ne disparaîtra pas ; elle se développera dans les écoles philosophiques pour devenir la qualité fondamentale du maître, du philosophe. Ce ne sera plus une vertu politique mais une vertu éthique. Le « paresiaste » est le partenaire indispensable pour dire la vérité sur soi-même, c’est celui qui écoute, qui fait parler, qui parle. Son autorité lui vient non pas de quelque institution à laquelle il appartiendrait, ni du savoir qu’il est supposé détenir, mais comme le « paresiaste » est politique, de son mode de vie, de sa pratique. Dans les deux cas de parésia, la parésia politique et la parésia éthique, on peut dire que le « paresiaste » n’est pas celui qui veut l’être face aux autres, c’est-à-dire celui qui veut être un sujet de vérité devant ceux qu’il voudrait soumettre à son autorité. Cela n’est pas en son pourvoir. L’autorité du « paresiaste », le fait d’être écouté comme quelqu’un qui dit la vérité, n’est pas un mouvement qui vient de celui qui l’exerce mais de celui ou de ceux qui la lui accordent. Évidemment, dans ce jeu « paresiastique », on peut croire qu’on a trouvé des sujets véridiques – enseignants, penseurs, hommes et femmes concrets – à valeur de maître, et puis se tromper. Mais il faut tenir compte de deux choses : premièrement, le jeu ici est ouvert, les vérités incarnées ne sont nullement universelles ; et deuxièmement, l’objectif visé est toujours la liberté et l’autonomie pour s’inventer soi-même. J’ajouterai pour finir qu’expérimenter, c’est comme créer une musique à partir de mélodies existantes. Foucault s’amusa un jour à dire que le principe epimeleia heautou, c’est-à-dire « soucie-toi de toi-même », lui faisait penser à la musique puisque la racine de epimeleia était peut-être melos, qui est aussi la racine de mélodie. Et donc qu’il fallait comprendre le principe epimeleia heautou comme « écoute ce qui chante en toi, ce qui est dans ta tête, le chant qui t’appelle, qui te convoque, qui t’interpelle ». C’est peut-être ça le secret de l’appel musical : écouter, faire attention à la ritournelle si laborieusement créée, parce que c’est justement le rythme de notre propre désir, ce désir que nous avons construit à partir de ce que nous possédions. (Extraits De l’herméneutique du sujet, de Michel Foucault, cours du Collège de France de 1982) L’homme est décidément un animal improbable : pour faire barrage à la négativité sans emploi du nihilisme de l'improbable, il s'agit de se reprendre à parler pour de vrai.

 

        L’homme qui (ne) sait (pas) attendre et qui (ne) se prête (plus) à rien (à tout). Dans une vie où tous les moments vécus le sont à contretemps, il n’y a plus que de l’improbable. Entre affect et habitus, l’improbable, c’est d’abord l’inattendu (l’inattendable), l’inespéré, le ce qui a peu de chance d’advenir ou de se réaliser. Aristote approche peut-être l'essence même de cette notion  dans cette formule fameuse : << Il faut préférer l'impossible qui est vraisemblable au possible qui est incroyable >>, autrement dit, il faut préférer l'irréel invraisemblable au réel vraisemblable. Aristote, Poétique, 1460 a26). Alors, pourquoi y a t il de  l’improbable plutôt que rien ou plutôt que quelque chose ? Le probable, c’est ce qui arrivera peut-être, c’est ce qui est possible. Aussi, l’improbable est beaucoup moins probable que le probable, si bien qu’il peut devenir négligeable ; certes, l’improbable n’est pas impossible et si le champ du possible ne se réduit pas au champ du probable, nous pouvons remarquer par ailleurs que le champ de l’improbable est distinct de celui de l’impossible : l’impossible (n’) est rien sinon peut-être un repoussoir (à transgresser parfois). En effet, l’improbable est un affect orienté qui réagit quand il est pris dans les lignes de force des champs des sphères sociales dans lequel il s’inscrit. L’homme doit s’ajuster à sa situation : plus nos marges d’adaptation sont étroites, plus nous pouvons avoir tendance à surcompenser nos sentiments d’infériorité par des défiances. Précisément, la pointe d’esprit crée un événement qui est susceptible << de relever le gant >>. Se prétendre (vouloir) improbable, cela nous expose : c’est assez déprimant de ne pas se sentir légitimé à se faire valoir plus que tout autre chose. C'est fatigant cette manière d'être toujours dans cette espèce d'incertitude de l’improbable : le doute sur nos incertitudes nous ronge et corrode nos santés : cela peut même bientôt la gripper. Sans doute, une bonne part de ces incertitudes relèvent d’un hasard objectif (comme dirait l’autre André Breton), mais une part prépondérante n’en reste pas moins d’ordre subjectif. Un travail de maturation de l’improbable s’effectue à la faveur des expériences sur lesquelles nous travaillons d’arrache pied pour circonscrire toutes les connaissances nécessaires pour maîtriser ce qu’il y a à maîtriser dans cet ordre des connaissances : nous avons beau avoir presque tout parcouru, du moins nous avons sans doute aperçu ce qu’il y a de plus significatif : pourtant (ou c’est à cause de cela), cela ne nous empêche pas de pouvoir nous sentir écrasé par les poids et les pressions des milieux ambiants sociaux auxquels nous sommes confrontés. Nous pouvons nous sentir à peu près impuissant à en faire davantage pour faire reconnaître ce que nous pouvons en dire. Aussi, nous pouvons nous sentir épuisé parfois, abattu quelquefois et découragé d’avance presque toujours. Enfin, même si nous n’avons pas l’occasion de discuter de l’état d’avancement dans l’ordre de la reconnaissance de nos métiers respectifs, nous devons bien admettre que notre situation nous paraît souvent difficile pour ne pas dire désespérée. Nous devons bien comprendre que bien des concours de circonstances ne se prêtent guère à faire que les résultats soient à la hauteur de nos attentes. Nous pouvons légitimement nous sentir ruiné, anéanti, laminé par tant de lourdeurs. Travailler sa subjectivité, c’est travailler sur notre manière d’appréhender les doutes afférents à l’improbable. C’est comme lorsque nous sommes dans l’attente : il y a comme une suspension du temps de l’action. Pour attendre, on ne fait rien : l’attente peut se réduire à un vide. Bien des choses se font attendre (les miracles par exemple) et l’intensité de l’attente est proportionnée à l’attention que nous prenons à vivre notre expérience. C’est une espèce de rapport au désir et à la crainte. Dites moi ce que vous attendez, je vous dirai qui vous êtes. L’attente révèle notre rapport au temps ou plus exactement à la temporalité. Dans l’attente se joue notre rapport au temps, notre impatience divulgue et trahit la qualité de notre relation à notre expérience (au) du temps : Etre, c’est dans le temps, par le temps, c’est être du temps, le temps de soi, le temps d’un rythme à ou de soi. L’improbable est une attitude ouverte, l’existential d’un souci et la marque que la nécessité n’est pas absolument nécessaire. Ce qui compte le plus dans l’attente, c’est de savoir quoi en faire. Lorsqu’on s’attend à quelque chose, on s’y prépare en ayant l’intention de la dépasser. Dans l’horizon d’attente d’un événement ou d’un avènement, nous sommes à l’affût et tout doit arriver à son heure. Dans la surprise, contre toute attente, l’inattendu révèle le dénouement de l’attente ou la contredit. Selon que nous sommes en avance ou en retard, nous pouvons remplir et combler le temps vide ou précipiter le mouvement. Il ne faut pas dormir dans l’attente : << il est de certaines heures où dormir, c’est mourir >> (Victor Hugo, Napoléon le petit). Plus et mieux qu’une espérance, l’attente qui s’assume, engage notre rapport à l’horizon indépassable de la mort. On met l’attente à profit pour faire ce que nous aurions dû faire depuis longtemps. Celui qui n’attend plus rien de rien, c’est celui qui a renoncé à tout et qui se détache parce qu’il ne sait plus à quoi s’attendre. Autant dire, qu’il s’attend à tout et que quoi qu’il arrive, il n’en attend plus rien. Comme des paquets en attente, nous ne pouvons être que déçus ; l’improbable est donc la pierre d’attente d’une affection particulière. Il va s’agir de mettre à profit cette attente : l’attente ne doit pas se résoudre en expédients, elle doit assumer son expectative. L’identité brouillée ou mal débrouillée de l’homme improbable, c’est l’identité de celui qui a perdu ou qui n’a pas encore trouvé ces deux qualités qui sortent de la même tige : 1) un jugement solide et sûr qu’on peut considérer comme le tribunal de la prudence où tout s’examine et se règle et 2) un esprit de feu subtil et vif qui saisit aussitôt la chose examinée et réglée. Ce qu’on peut faire de mieux à faire dans l’improbable, c’est de nous apprendre à saisir l’occasion : << avoir de l’esprit >> au sens de Balthazar Gracian, c’est avoir cette sorte de présence d’esprit où on se joue dans l'ironie des circonstances : << le je ne sais quoi, qui est l’âme de toutes les bonnes qualités, qui orne les actions et qui embellit les paroles >>. Cet esprit d’à propos, << on le reconnaît à je ne sais quelle intrépidité animée qui inspire de l’assurance >>. << L’esprit seul, à la vérité, n’est pas indigne de notre estime : l’esprit est dans l’homme ce que le soleil est dans l’univers, un flambeau lumineux et un ornement admirable >>. << Telles est la prérogative insigne de l’esprit : il n’appartient qu’à lui de nous élever au dessus des objets communs et sensibles : de penser, de raisonner, de comprendre, de pénétrer dans les choses les plus cachées et d’en développer les principes, de prendre l’essor jusqu’à la divinité et d’oser même en déterminer l’essence toute infinie qu’elle est >>. (Le héros ; L’homme de cour ; L’homme universel et El Politico, traductions, Amelot de la Houssaie et Joseph de Courbeville).

 

       Ethique et Esthétique de l'improbable : la philosophie comme passage de la perplexité à la lucidité : les critiques de La condition Post-Moderne de Jean-François Lyotard (Rationalisme et cynisme de Jacques Bouveresse) ont sans doute mésestimé tout à fait le sens profond de sa perspective qui n'avait pas tant pour but de faire la promotion d'un certain relativisme, que de précisément mettre le doigt sur les instabilités et les précarités qui caractérisent  nos sociétés. Loin, bien loin des assurances et des certitudes de tous les postivismes prométhéens, la critique de Jean-François Lyotard avait bien en vue de mettre en évidence les impostures de toutes ces surenchères déterministes qui se sont crues si déterminantes. Faute de grands récits, nous en sommes réduits à assumer le risque que nous font courir les traversées de l'improbable : nous sommes dès lors exposés à des périls qui peuvent nous faire basculer de l'étonnement au doute et du doute au nihilisme. La déconstruction par la katharsis à laquelle nous invite la notion d'improbable doit nous mettre en mesure d'assumer les blessures et les malaises de la lucidité. L'opération de sauvetage du rationalisme entreprise par une certaine philosophie analytique est vouée à un échec tant qu'elle ne comprendra pas que la condition postmoderne n'est pas tant le projet d'une libération, qu'une condition qui nous est faite par le rationalisme triomphant. Il n'est pas et il ne saurait être dans notre nature, d'approcher les choses du monde autrement qu'en les éprouvant vraiment qu'en les appréhendant sans certitudes, fussent elles négatives. L'improbable est un de ces mots embarassants qui ont plus de valeur que de sens ; un de ces mots qui enchantent plus qu'ils ne parlent, qui interrogent plus qu'ils ne répondent, de ces énigmes qui ont fait tous les métiers, de ces mots qui nous barbouillent de Théologie, de Métaphysique, de Morale et de Politique, de ces mots bons pour la controverse, la dialectique ou l'éloquence, de ces mots propres à toutes les analyses illusoires et aux subtilités sans fins qui déchaînent des passions du tonnerre : << si nous n'espérions jamais ce qui se présente comme hautement improbable, nous ne pourrions jamais explorer ce qui paraît inaccessible >>. (Héraclite, fragment 66). Une philosophie réflexive comme doute méthodique et réduction de l'ouverture au monde aux actes spirituels passe par l'éclatement et la destruction de la première apparence : dans cette optique, la désillusion n'est que la perte d'une évidence que parce qu'elle est l'acquisition d'une autre évidence. (Le visible et l'invisible, p 63). S'il y a une figure actuelle qui incarne bien cette notion d'improbable, c'est sans doute celle de Jacques Derrida : contrairement à toutes ces doctrines péremptoires, la méthode ironique de la déconstruction se présente comme un tâtonnement qui entend préserver la sensibilité des sujets dont elle parle. << C'est toujours au nom de l'éthique, d'une éthique prétenduement démocratique de la discussion, c'est toujours au nom de la communication transparente et du consensus que se produisent les manquements les plus brutaux aux règles élémentaires de la discussion, c'est toujours le discours moraliste du consensus, du moins celui qui feint d'en appeler sincèrement au consensus, qui produit en fait la transgression indécente des normes classiques de la raison et de la démocratie >>. Lui-même proposait quatre règles pour qualifier sa méthode : (voir à ce propos, Par-dessus le marché ; Glas, De la grammatalogie, La différance, La dissémination) la déconstruction, c'est

 

- l'Amérique

 

- le plus d'une langue

 

- ce qui est impossible

 

- ce qui arrive.

 

    Cette écriture sinueuse, cette façon un peu désinvolte de caractériser le style de sa pensée montre assez une manière d'être assez instable qui accepte de toute évidence de se laisser déranger par la langue des autres. Quoi que nous disions de ce qui arrive, << les choses n'allait jamais aussi bien qu'on croyait >>, son usage fréquent de l'aporie témoigne assez de ses scrupules : si tout était trop prévisible, alors la vie perdrait tout intérêt. Il ajoutait pour résumer sa démarche que << les conditions de possibilité sont aussi des conditions d'impossibilité >>. << Seul l'impossible arrive >>. En réalité, il serait sans doute plus juste de dire et de soutenir que << les conditions de possibilité de l'expérience sont aussi et surtout des conditions d'improbabilités de la probabilité que quelque chose arrive >>. Ses hésitations, ses accents angoissés, les oscillations de ses conjugaisons entre le conditionnel et le conditionnel passé, entre le le subjonctif et le subjonctif passé, nous donnent à penser qu'il a plus et mieux que n'importe qui d'autres le sens de l'appréhension face à l'improbable. C'est ce qui est tout à fait manifeste dans La voix et le phénomène (p 41) : << il y a indication chaque fois que l'acte conférant le sens, l'intention animatrice, la spiritualité vivante du vouloir-dire, n'est pas pleinement présente >>. Qu’est ce qui doit être pour que quelque chose puisse être ce qui (nous) arrive ? Tristes tropismes

Publié dans Philosophie

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G
Le vice des sots (cette intelligence malhonnête des esprits forts), c'est l'incrédulité (ne jamais s'en laisser conter), le défaut des hommes d'esprit, c'est la crédulité fleur bleue de la belle âme : il vaut toujours mieux préférer l'impossible qui est vraisemblable, au possible qui est incroyable : le champ du possible ne se réduit pas au champ du probable...
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G
Le vice des sots (des esprits forts), c'est l'incrédulité (ne jamais s'en laisser conter), le défaut des hommes d'esprit, c'est la crédulité : il vaut toujours mieux préférer l'impossible qui est vraisemblable, au possible qui est incroyable : le champ du possible ne se réduit pas au champ du probable...
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G
Dans la vie, il n'y a pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer, et les solutions suivent. Vol de nuit (1931) de Antoine de Saint-Saint-Exupéry... On devrait être toujours légèrement improbable...
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G
De la docte ignorance. L'irréfragable évidence de l'inévident : la fameuse Idée si paradoxale de vouloir attacher une preuve de probabilité à l'improbable, à vouloir réconcilier les inconciliables : le plomb en or, la bêtise en intelligence ou la laideur en beauté. L'essence de la puissance métamorphique du style de l'esprit et du calcul économique est un entremetteur qui fait fraterniser l'impossibilité des contraires ou des opposés irréconciliables... Tout porte à croire qu'il existe un certain point de l'esprit en ce lieu mental d'où l'on ne peut plus entreprendre que pour soi-même une périlleuse et suprême reconnaissance, d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement...
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G
L'inquiétante indétermination de l'être p 320 de L'être et le néant.
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