La raison à l'état sauvage ou l'esprit de suite ...

Publié le par Pierre GAPENNE

Contre les calomniateurs de la nature : quels êtres odieux ces gens chez qui tout penchant naturel devient aussitôt une maladie, une grimace ou même une ignominie...

Contre les calomniateurs de la nature : quels êtres odieux ces gens chez qui tout penchant naturel devient aussitôt une maladie, une grimace ou même une ignominie...

  Non pas la langue de bois, mais " la langue des bois " : nous devons apprendre à nous réveiller et à rester éveillé non pas par des moyens mécan

iques mais par l'attente ininterrompue de l'aube, laquelle ne nous quitte pas même dans notre plus profond sommeil. Je ne connais pas de faits plus encourageants que la capacité indiscutable de l'homme à élever sa vie par une effort conscient à la simplicité frugale. C'est une chose de pouvoir peindre un tableau particulier, de sculpter une statue et ainsi de fabriquer quelques beaux objets mais il est beaucoup plus glorieux de sculpter et de peindre l'atmosphère même et le médium que notre regard traverse. A chaque homme incombe la tâche de rendre sa vie jusqu'au moindre détail digne d'être contemplée. Walden et la vie dans les bois. David-Henri Thoreau.

 Tristes tropismes Pourquoi les prétendus civilisés n'aiment pas la nature ? Nature, o, douce nature, reprend tous tes droits.August-Macke-003.jpg L'humain est l'obligé de la Nature. Contre les calomniateurs de la nature : quels êtres odieux ces gens chez qui tout penchant naturel devient aussitôt une maladie, une grimace ou même une ignominie. Ce sont eux qui nous font croire que les penchants et les instincts de l'homme sont mauvais. Ils sont la cause de cette grande injustice envers notre nature, envers toute nature. Il ne manque pas de gens qui auraient le droit de s'abandonner à leurs penchants avec grâce et insouciance : mais ils ne le font pas par crainte de cette malice imaginaire de la nature qu'on leur a inculqué. C'est pourquoi on rencontre si peu de noblesse parmi les hommes : car la noblesse d'une âme se reconnaîtra toujours à ce qu'elle n'a pas peur d'elle-même, elle n'appréhende pas que de soi vienne quelque chose de honteux : elle vole partout sans scrupule là où son désir, oiseau né libre qu'elle est, l'appelle. (Nietzsche, Le gai savoir, § 294).

    << Je ne pense pas qu'il y ait une si grande distance de bête à bête comme il y a de grands intervalles d'homme à homme en matière de prudence, de discours, de raison et de mémoire >>. Montaigne, Essais I 42, De l'inégalité qui est entre nous et Que les animaux usent de raison.

 

   << La raison me tue, je voudrais être fou pour être sain >>. Lettre à De Luc du 20 juillet 1764. Jean-Jacques Rousseau.    

                         La vraie raison , c'est toujours une bonne raison de faire quelque chose ...

 

    << Pour qu'une théorie d'information pût être élaborée, il était sans doute indispensable que l'on découvrît que l'univers de l'information était une partie ou un aspect du monde naturel. Certes, les propriétés accessibles à la pensée sauvage (raison sauvage) ne sont pas les mêmes que celles qui retiennnent l'attention des savants, mais la validité du passage des lois de la nature à celles de l'information une fois démontrée, implique aussi la validité du passage inverse : celui qui permet aux hommes d'approcher les lois de la nature par les voies de nos sensations, de nos sentiments.et de toutes nos impressions >>  Claude Lévi-Stauss , La pensée sauvage, p 356.

  << C'est par moquerie que nature nous a laissé la plus trouble de nos actions, la plus commune, pour nous égaler par là et apparier les fols et les sages, et nous et les bestes >>. Sur des vers de Virgile, Essais III 5, Montaigne, p 92, GF.

  Si je n'avais jamais porté en moi depuis toujours le monde comme pressentiment, je serais resté aveugle. Goethe

 La rationalité n'est qu'un comportement viable retenu par la sélection darwinienne ... (De l'intérieur du monde, p 556)

 

 

  Sans doute, les traditions rationalistes nous ont façonnées à ce point qu’elles nous ont habituées à ne plus tenir pour rationnelles que les productions de la parole ou du langage élaborées dans des syntaxes ou des logiques dûment avérées. Depuis Aristote jusqu'à Cicéron, on s'est beaucoup plu à répéter que le propre de l'homme, c'est qu'il est un animal rationnel (zoon logikon). La raison est à la fois un idéal, une attitude et une méthode : grâce à la raison, l'homme mène dit Pascal << cette guerre intérieure contre les passions >>. On parle de la raison comme d'un système de principes premiers, évidents, universels et nécessaires et de règles qui guident nos réflexions : avoir confiance dans la raison, c'est accorder que nos actes et nos actions  puissent s'en remettre aux argumentations de ses délibérations. Si la raison ne saurait remplacer ni l'intuition sensible, ni la réflexion, ni l'émotion esthétique, ni l'amour ou la foi, c'est néanmoins à la raison que nous avons recours lorsqu'il s'agit de prendre clairement conscience des domaines où elle peut s'exercer : la rationalité peut s'entendre en un sens étroit mais elle peut aussi se concevoir comme une rationalité généreuse qui puise son inspiration en nous rendant accessible au monde sensible. La raison semble la norme suprême de la pensée réfléchie et elle reste le juge souverain de ses limites et de son pouvoir : une telle perspective a vocation à découvrir au cœur de la raison les liens organiques qui nous attachent au sensible.

   I)  La raison et l'ordre des choses : dans sa phase de plus grande expansion, le rationalisme s'est attellé à déterminer la nature de ses principes : principe d'identité : principe de non contradiction ; principe du tiers exclu ; principe de raison suffisante ; principe de causalité ; principe de finalité. D'après André Lalande, tout l'effort de la raison consiste à réduire le divers au même, le multiple à l'un, le contingent au nécessaire. Comprendre, c'est assimiler, c'est à dire établir un rapport intelligible entre les connaissances acquises et la réalité nouvelle de façon à intégrer celle-ci dans un système intellectuel unifié. On conçoit, dans ces conditions, que de nombreux logiciens, aient vu dans le principe d'identité la norme suprême de la raison, auquel, en dernière analyse, pourrait se ramener les autres principes. Dans le domaine des principes logiques, il va  de soi que les principes de contradiction et du tiers exclu peuvent être considérés comme des formes dérivées du principe d'identité. Dans le domaine des principes rationnels, la tentative la plus interessante est celle de Meyerson qui, dans son ouvrage Identité et réalité (1907), montre que l'explication causale est à la limite, un effort d'identification pour introduire ordre et unité dans la contingence et la variation incessante du réel. Pratiquemment, un événement est précédé d'un grand nombre d'antécédents. Appeler cause l'antécédent constant, c'est comme le dit Meyerson, << appliquer le principe d'identité à l'existence des objets dans le temps >>. La constance, pourtant, serait de valeur logique nulle si l'analyse scientifique ne découvrait entre la << cause >> et l'<< effet >> une identité profonde, par exemple, le passage d'une même énergie, de la forme électrique à la forme lumineuse et motrice. Tout l'effort de la science vers l'explication commune donné par les grandes théories, ressortit à la même reconnaissance de la valeur de l'identité comme norme idéale de l'explication rationnelle.

   II) La raison exclusive : la suspicion qui s'est élevée contre les rationalismes étroits (néokantisme), contre la rationalité instrumentale (Adorno) et même contre le rationalisme institutionnel médical et psychiatrique, s'est attachée à faire valoir que depuis l'antiquité, la raison avait pour rôle d'étre un opérateur d'exclusion de populations étrangères (populations végétales des mauvaises herbes ou animales). La compétence qui est désignée par la raison, met en effet hors course ceux qui ne l'ont pas acquise. A commencer par les barbares (ceux qui ne parlent pas bien le grec), les esclaves, les femmes, les enfants, les handicapés, les pauvres, les animaux et les êtres vivants qui n'ont pas la parole dans les assemblées décisionnaires. Ce qui fait le plus horreur à ce rationalisme, c'est ce qui est incontrôlable et immaîtrisable au sens strict : Platon montre ainsi ses aversions pour les mouvements anarchiques de la foule et du vulgaire : dans l'espace public, les seules émotions qui sont tolérées sont l'indignation et la colère. Ce qui est valorisé pour Platon, ce n'est ni la contagion mimétique des affects, c'est au contraire ce qu'i y a de créatif dans nos initiatives (début de Le Sophiste) : l'imitation est un expédient du pauvre.  C'est essentiellement, avec Michel Foucault dans Histoire de la folie (p 56 et suivantes), que ce rôle excluant de la raison va le mieux être mis à jour : dans le chapitre II notamment, il met en évidence que l'avènement du classicisme au XVII éme siècle en Europe est contemporain d'une mise à l'écart des fous : << la folie ne saurait plus le concerner >> dit il à propos de Descartes qui écarte pour assurer la connaissance dans la première des Méditations métaphysiques << les noires vapeurs des insensés >>. Assurément << ce sont des fous, je ne serais pas moins extravagant si je me réglais sur leur exemple >>. << Parler le langage de la déraison et de l'aliénation, c'est approfondir la négativité de l'homme jusqu'au point extrême où s'appartiennent sans partage l'amour et la mort, le jour et la nuit, la répétition intemporelle des choses et la hâte des saisons qui s'acheminent vers leurs fins >> p 549. La raison opère cette distinction entre le rêve, l'illusion, l'imaginaire et la réalité.

   III) Extension du domaine de la raisonDavid Hume dans l'Enquête sur l'entendement humain, résume les propriétés de la raison à des analogies : << le raisonnement expérimental lui-même que nous possédons avec les bêtes, dont dépend toute la conduite de la vie, n'est rien d'autre qu'une espèce d'instinct ou de pouvoir machinal qui agit en nous  à notre insu ; et qui, dans ses principales opérations, n'est dirigé par aucune de ses relations ou comparaisons d'idées qui sont les objets propres de nos facultés intellectuelles. Bien que ce soit un instinct différent, c'est pourtant encore un instinct qui enseigne à l'homme d'éviter le feu ; autant que celui qui enseigne à l'oiseau avec tant de rigueur, l'art de l'incubation et toute l'économie et l'ordre de ses soins éducations >> (p 179).

-          agencement de fins et de moyens

 

-          de principe à conséquence

 

-          de cause à effet 

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     Dans le Traité de la nature humaine (Livre 1, partie III, chapitre XVI), il s'attache à préciser davantage comment s'opère cette extension du domaine de la raison en attribuant aux animaux la capacité d'en user. << Juste au dessous du ridicule attaché au fait de nier une vérité évidente, se trouve celui qui consiste à prendre beaucoup de peine pour la défendre et aucune vérité ne me paraît plus évidente que de dire que les bêtes sont douées de pensées et de raison comme les hommes. En adaptant des moyens à des fins, nous avons conscience d’être nous-même guidés par la raison et l’intention, et de ne pas accomplir sans le savoir et sans le vouloir ces actions qui tendent à assurer notre conservation, à obtenir le plaisir et à éviter la douleur. Par conséquent, lorsque nous voyons d’autres créatures, en des millions  de cas, accomplir des actions semblables, tous nos principes de raison et tous nos principes de probabilité nous poussent avec une force invincible à croire à l’existence d’une cause semblable. Rien ne montre plus la force qu’a l’habitude de nous accoutumer à un phénomène que le fait que les hommes ne s’étonnent pas des opérations de leur propre raison, alors qu’en même temps, ils admirent l’instinct des animaux et trouvent de la difficulté à l’expliquer, uniquement parce qu’on ne peut le ramener exactement au même principe. A considérer la chose comme il le faut, la raison n’est qu’un instinct merveilleux et inintelligible présent dans notre âme qui nous conduit à travers un certain enchaînement d’idées qu’il dote de qualités particulières, en fonction de leurs situations, et relations particulières. Cet instinct, il est vrai, naît de l’observation et de l’expérience passée ; mais quelqu’un peut il donner la raison ultime du fait que l’expérience et l’observation passées, produisent des effets, plutôt que la nature à elle seule ? La nature peut certainement produire tout ce qui peut naître de l’habitude ; mieux, l’habitude n’est que l’un des principes de la nature et elle tire toute sa force de cette origine. Le défaut commun à ses systèmes dont les philosophes se sont servis pour expliquer les actes de l’esprit, c’est qu’ils supposent une subtilité et un raffinement de pensée qui dépassent non seulement la capacité des simples animaux, mais aussi celle des enfants et des gens ordinaires de notre propre espèce, qui sont cependant susceptibles des mêmes émotions et des mêmes affections que les personnes d’un génie et d’un entendement des plus accomplis. Une telle subtilité prouve clairement la fausseté d’un système comme le contraire, la simplicité en prouve la vérité >>.

     Dans Les concepts fondamentaux de la métaphysique (Monde finitude solitude), Heidegger apporte à ce débat une contribution qui ne manque pas d'intérêt : s'inspirant des travaux de Hans Driesch et de Jacob van Uexküll (Umwelt und innenwelt der Tiere), citant un peu plus haut les travaux de Frederic Jacobus Johannes Buytendijk (traduit par L'homme et l'animal, Essai de psychologie comparée), il en vient à distinguer les manières dont l'homme s'insère dans son milieu physique, géographique et social par comparaison avec les manières dont les animaux s'intègrent à leurs milieux naturels. Il oppose à cette essentielle pauvreté en monde de l'animal, la capacité de l'homme à se désinhiber de cet accaparement : être ouvert dans l'accaparement, s'ouvrir, c'est désocculter la déhiscence de l'être, c'est accéder à la dignité d'un Dasein, comme un ensemble de dispositions fondamentales qui relient notre identité de genre et d'espèce à nos milieux terrestres par l'intermédiaires de techniques qui nous approprient (l'oikeiosis d'Aristote et des stoïciens) à notre environnement. Nous avons là sans doute, exprimé dans les termes de l'ontologie fondamentale de Heidegger, un analogue de ce que James Jerome Gibson a développé : sa théorie de la perception visuelle s'articule autour de deux concepts principaux : le champ optique ambiant, en quelque sorte une version améliorée de la notion de champ de vision, qui représente l'ensemble des rayons lumineux convergeant au point d'observation où se situe l'animal, et les affordances, néologisme formé sur le verbe to afford (fournir, offrir la possibilité), qui sont les possibilités d'interaction entre l'animal et son environnement (par exemple, une chaise offre l'affordance de s'asseoir pour un homme, de marcher pour une souris, et aucune de ces deux affordances pour un éléphant - mais probablement d'autres). Ce qui caractérise l'approche heideggerienne de notre manière d'être au monde, c'est cette tonalité fondamentale de notre Dasein (Stimmung) : l'analytique du Dasein dans Etre et Temps, spécifie les fonctionnalités quasi biologiques qui nous rattachent à des signes du langage et aux utilisabilités des avoir sous la main ou àla portée de la main des Vorhandenheit et des Zuhandenheit qui structurent nos organismes. (Kurt Goldstein : La structure de l'organisme).

   Quine dans toute son œuvre, se garde bien lui aussi d'hypostasier une quelconque entité comme cette faculté de raison : pourtant, assurément, les analyses qu'il met en œuvre pour élucider les cadres conceptuels que nous utilisons dans les langages et dans les sciences, ressortissent bien d'une certaine critique de la raison théorique. Précisément, ce qui caractérise le mieux cette raison théorique, c'est sans doute sa volonté de naturaliser l'épistémologie en montrant après Nelson Goodman dans Faits, fictions et prédictions, que la faculté la plus essentielle de l'esprit humain, c'est notre capacité à généraliser par induction des informations significatives. Il aperçoit avec beaucoup de perspicacité que cette faculté n'est pas du tout spécifique à l'humanité mais bien au contraire qu'elle est une caractéristique de tous les être vivants, y compris ceux du règne végétal. Dans la chapitre V de Relativité de l'ontologie, il réduit du reste la spéciation au fait que les espèces possèdent un patrimoine d'attitudes générales (un attitudinatif comme il dit) qu'elles sont capables de mettre en commun et de partager : << Une espèce qui échouerait de manière invétérée à faire des inductions, aurait une tendance pathétique quoique louable à disparaître >> dit il. Autrement dit, la raison qui pousse les êtres vivants à composer avec les éléments des milieux physiques ou sociologiques dans lesquels ils évoluent, c'est le besoin vital que nous avons de nous y intégrer. Ce qui différencie le souci ontologique du philosophe du souci des autre espèces, c'est l'ampleur de ses catégories. << Avec Dewey, je pense que la connaissance, l'esprit et la signification, font partie du même univers auquel se rapportent tous les êtres vivants pour se mettre en relation avec les éléments des milieux dans lesquels ils évoluent pour interagir avec lui >>. Etant donné des objets physiques en général, le représentant de la science naturelle est celui qui décide au sujet des oppossums et des licornes. Etant donné des classes, ou quelque autre domaine plus large d'objets dont a besoin le mathématicien, c'est au mathématicien de dire en particulier s'il y a des nombres premiers pairs ou des nombres cubiques qui sont les sommes de pairs de nombres cubiques. L'examen de l'acceptation non critique de ce royaume d'objets physiques, ou de classes, etc, est dévolu à l'ontologie. Dans un article fameux, Emile Benvéniste avait montré que les catégories aristotéliciennes étaient moins des catégories de la pensée que des des catégories grammaticales de la langue grecque. Quine se prémunit contre un tel risque en fondant sa doctrine des catégories sur l'étude de cette langue formelle universelle de la logique symbolique. Il bannit de la langue scientifique (sans en appauvrir ses capacités) les noms propres, les démonstratifs, les expressions d'attitudes propositionnelles, les modalités, les abstractions intentionnelles, les citations, les conditionnels irréels. Seuls, sont maintenus les constructions fondamentales : prédications, qualifications universelles, les fonctions de vérité. Une telle langue canonique permet de répondre avec précision à la question : à quelles conditions sommes nous engagés ontologiquement ? c'est à dire que nous sommes conduits à reconnaître comme existante une entité (par exemple une classe d'équivalence) ou à la réputer seulement et tout simplement fictive ? Le dictum de Quine, la formulation du critère d'engagement ontologique, s'énonce ainsi << des entités d'espèces données sont assumées par une théorie si et seulement si certaines d'entre elles doivent être comptées parmi des valeurs de la variable pour que les énoncés affirmés par la théorie soient vrais >>. Nous apprenons ainsi ce qu'une théorie dit de ce qui est. Les expressions référentielles de la langue ordinaire ne nous engagent pas à reconnaître le nominatum du nom, ni le descriptum de la description, comme l'a montré la célèbre théorie des descriptions de Russell (On denoting, 1905). L'attitude générale de Quine est de chercher à diminuer le nombre des engagements ontologiques tout en préservant << le budget des lois scientifiques reconnues >>. (article établi à partir des discussions du colloque Raison animal du 24 septembre 2010 à Amiens organisé par Charles Martin Freville et Anne le Goff avec Vinciane Despret, Chloé Mondémé, Fabrice Bothereau, Nicolas Delon, Jerôme Michalon et Jean Luc Guichet).

  IV) Conclusion : la raison comme le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : ne cherchant plus à opposer la raison et la sensibilité, le langage et l'expérience tout en maintenant leurs distinctions, notre phénoménologie se met en quête d'une raison sensible au coeur parce qu'elle ouvre le coeur de la raison au sensible : la raison sauvage qui est l'apanage de tous les êtres vivants (voir la téléonomie dont Jacques Monod met en évidence l'importance dans Le hasard et la nécessité) est logique dans le même sens et de la même façon que la notre quand elle s'applique à la connaissance d'un univers auquel elle reconnaît des propriétés physiques et des propriétés sémantiques. L'esprit de méthode de la raison doit désormais élrgir ses champs d'action. De tout temps, tous les être vivants ont toujours été des êtres vraiment raisonnables et réellement sensibles : ils ont eu besoin d'un monde plus grand, plus beau et ont eu l'ambition de reculer leurs limites. Dans cette optique, à chacun de se comprendre comme une monade qui enveloppe et représente une multitude dans l'unité ou dans le simple pour s'éclairer selon ses moyens : toutes les choses possibles, celles qui expriment une essence ou un réalité possible (existence), tendent à égalité de droit à l'existence, proportionnellement à la quantité d'essence qu'il y a en elles. C'est en comprenant que nous (tous les êtres vivants) sommes tous à peu près pareils qu'on agrandit ou qu'on élargit le mieux notre monde. C'est de l'uniformisation d'une pensée unique ou d'une raison commune pour tous, que procède la volonté d'aller vers le plus petit comme vers le plus grand, vers le plus médiocre comme vers le plus grandiose qui nous permet de faire mieux sens commun. Pour faire un monde, ce qu'il faut, c'est regarder partout vers le haut comme vers le bas pour faire jaillir l'espoir du meilleur, pour créer le beau à partir du laid et pour conjurer le désespoir et le pire : il faut magnifier les petites jalousies mesquines de nos petites différences distinctives et bourgeoises pour les mettre au service d’un grand tout. Ce malentendu une fois dissipé, il n'en reste pas moins vrai que cette raison procède par les voies de l'entendement, non de l'affectivité ; à l'aide de distinctions et d'oppositions, non pas par confusion et participation. Cette information se schématise, puis s'efface, puis s'abolit quand on passe à des histoires de plus en plus fortes. Il suffit de reconnaître que l'histoire est une méthode à laquelle ne correspond pas un objet distinct et, par conséquent, de récuser l'équivalence entre la notion d'histoire et celle d'humanité, qu'on prétend nous imposer dans le but inavoué de faire de l'historicité, l'ultime refuge d'un humanisme transcendantal comme si les hommes pouvaient retrouver sur le plan du nous, l'illusion de la liberté : la ventriloquie transcendantale qui prête à une instance supérieure, des capacités de prévision du futur, est problématique. Bruno Latour dans Arrachement ou attachement à la nature, met assez bien en évidence que les efforts de Luc Ferry dans Le nouvel ordre écologique pour dissoudre les prétentions de l'écologie en ramenant des exigences de la raison de la cité domestique aux exigences de la raison de la cité civique (sur le modèle de De la justification de Luc Boltanski et de Laurent Thévenot), sont sinon vains, du moins sont ausi illusoires que tous ces volontarismes scientistes qui ne voient de salut que dans la croissance.

     Sa théorie de la perception visuelle s'articule autour de deux concepts principaux : le champ optique ambiant, en quelque sorte une version améliorée de la notion de champ de vision, qui représente l'ensemble des rayons lumineux convergeant au point d'observation où se situe l'animal, et les affordances, néologisme formé sur le verbe to afford (fournir, offrir la possibilité), qui sont les possibilités d'interaction entre l'animal et son environnement (par exemple, une chaise offre l'affordance de s'asseoir pour un homme, de marcher pour une souris, et aucune de ces deux affordances pour un éléphant - mais probablement d'autres). Notre siècle rejette avec hauteur tout ce qui tient de la merveille mais le serpent à souvent été l'objet de nos observations, et si nous osons le dire, nous avons cru reconnaître en lui l'esprit pernicieux et subtile. Tout est mystérieux, caché, étonnant dans cet incompréhensible reptile. Ses mouvements différent de ceux de tous les autres animaux ; on ne saurait dire où gît le principe de son déplacement, car il n'a ni nageoires, ni pieds, ni ailes, et cependant il fuit comme une ombre, il s'évanouit magiquement, il reparaît et disparaît ensuite, semblable à une petite fumée d'azur et aux éclairs d'un glaive dans les ténèbres. Tantôt, il se forme en cercle, et darde une langue de feu ; tantôt debout, sur l'extrémité de sa queue, il marche dans une attitude perpendiculaire, comme par enchantement. Il se jette en orbe, monte et s'abaisse en spirale, roule ses anneaux comme une onde, circule sur les branches des arbres, glisse sous l'herbe des prairies, ou sur la surface des eaux. Ses couleurs sont aussi peu déterminées que sa marche : elles changent aux divers aspects de la lumière et comme ses mouvements, elles ont le faux brillant et les variétés trompeuses de la séduction. Plus étonnant encore dans le reste de ses moeurs, il sait ainsi qu'un homme souillé de meurtre, jeter à l'écart sa robe tâchée de sang, dans la crainte d'être reconnu. Par une étrange faculté, il peut faire rentrer dans son sein les petits monstres que l'amour en a fait sortir. Il sommeille des mois entiers, fréquente des tombeaux, habite des lieux inconnus, compose des poisons qui glacent, brûlent ou tâche le corps de sa victime des couleurs dont il est lui-même marqué. Là, il lève deux têtes menaçantes, ici, il fait entendre une sonnette ; il siffle comme un aigle de montagne ; il mugit comme un taurau. Il s'associe naturellement aux idées morales ou religieuses, comme par une suite de l'influence qu'il eût sur nos destinées : objet d'horreur ou d'admiration, les hommes ont pour lui une haine implacable, ou tombent devant son génie ; le mensonge l'appelle, la prudence le réclame, l'envie le porte dans son coeur, et l'éloquence à son caducée. Aux enfers, il arme les fouets des furies ; au ciel, l'éternité en fait son symbole. Il possède encore l'art de séduire l'innocence ; ses regards enchantent les oiseaux dans les airs ; et sous la fougère de la crèche, la brebis lui abandonne son lait. Mais il se laisse lui-même charmer par de doux sons, et pour le dompter le berger n'a besoin que de sa flûte. Chateaubriand, Génie du christianisme, p 62.

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