Notre situation (suite 4) : Aristote et nous...

Publié le par Pierre Gapenne

 Le problème qu’il se pose est de savoir comment il peut y avoir un savoir théorique de l’être éthique de l’homme et quel rôle ce savoir peut jouer...

Le problème qu’il se pose est de savoir comment il peut y avoir un savoir théorique de l’être éthique de l’homme et quel rôle ce savoir peut jouer...

 

 

 

                Ainsi, Aristote semble avoir préparé le terrain de toute la pensée occidentale en ménageant la possibilité que le discours de la méthode puisse être révisé et dépassé à tout instant. Le problème qu’il se pose est de savoir comment il peut y avoir un savoir théorique de l’être éthique de l’homme et quel rôle ce savoir peut jouer. Si le bien se présente toujours à l’homme dans le concret de la situation pratique où il se trouve, il faut que ce savoir de l’agent le mette en capacité de discerner ce qui est exigé de lui. Chacun doit développer en lui-même par l’exercice et l’éducation une attitude qu’il faut constamment maintenir et confirmer par un comportement juste et équitable. En distinguant expressément ce qui est juste par nature et ce qui est juste selon la loi, il prend position contre le conventionnalisme et le positivisme et il oppose le caractère invariable du droit naturel à la variabilité du droit positif. Les déterminations de ce qui est juste et vrai accordent une marge de jeu à leurs expressions. La science de l’Etre en tant qu’Etre qu’il tente de définir, se caractérise par une double ambition de vouloir déborder à la fois le platonisme à qui il reproche de ne s’inquiéter que des éléments des seules substances et à la fois les physiologues à qui il reproche de confondre la réalité tout entière avec l’ensemble des réalités naturelles. La science qui porte sur ce qui peut être généralement conçu de l’être comme tel, peut gagner en généralité ce qu’elle perd en universel : prenant le risque de payer l’enrichissement du réel enregistré d’une précarité épistémique. L’être se dit en des sens multiples (pollakos legomenon) et de façon plurivoque relativement à une nature d’une certaine sorte de signification unie par une communauté générique. La commune référence à une phusis s’offre comme un principe de réunification des différentes significations des modalités de l’être. Ainsi, les choses dites pollakos sont dites d’une certaine façon.

 

                La reconnaissance de la diversité sensible et phénoménale, n’interdit pas, donc autorise la multiplicité du réel dans une unité générique. En faisant du phénomène la source génétiquement prioritaire du déploiement du désir humain de connaître, Aristote lance un défi dont il ne faut pas minorer la portée : il innove une forme de langage susceptible d’approcher les choses mêmes. Soucieux de codifier les formes qui se donnent à connaître comme des modalités de connaissance, Aristote a conçu la nécessité d’une pluralité des méthodes : c’est dans l’ouverture d’Ethique à Nicomaque que l’on trouve le texte le plus explicite à cet égard. Une formule récurrente désigne cela : on aura parlé suffisamment si on montre les choses dans leur clarté. La façon la plus adéquate requise par la matière concernée, implique au sujet qui en parle, de se résoudre à ne montrer le vrai d’abord que grossièrement par des esquisses et des ébauches. On ne doit chercher que la rigueur qui convient en chaque genre de questions. Pour tous les discours, il convient de déployer un langage adéquat dont la norme est suspendue à la nature et à la matière de la chose dont on parle. Le sérieux de la visée de la connaissance se mesure à l’adaptation de celui-ci à un degré approprié de l’observance de la méthode. En matière d’éthique, la pure connaissance théorique des choses par leurs causes n’est pas de mise : dans le logos consacré aux actions, l’agent ne doit pas s’épuiser en précisions inutiles, il doit plutôt avoir le souci de mettre en correspondance l’ordre du devenir de la situation dans laquelle il est impliqué avec les formes de comportements qu’il affectionne, par des  délibérations appropriées.

Publié dans Politique

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