P De la nature du style : le style, c’est l’esprit de la méthode des institutions de la Nature...

Publié le par Pierre GAPENNE

Le style et la manière disent quelque chose d'un comportement du langage dans l'écriture...

Le style et la manière disent quelque chose d'un comportement du langage dans l'écriture...

           Déferlement des styles : le style procède de la manière non pas au sens de son étymon qui la rattache à manus (anthropologie des tournures de la main : empiricité du corps), ni du scolastique manarés (rester, singularité idiosyncrasique solipsiste) mais bien au sens qui la rapporte à la mania : une manie de faire d'une manière folle, le style est un je ne sais quoi qui vise à dire quelque chose qu'il sait ne pas savoir encore bien dire : << Comment dire ? Folie, que de vouloir croire entrevoir, c'est folie de croire voir entrevoir >>, dit Beckett dans un de ces derniers poèmes. La manière se rapporte d'abord à la mania grecque divine ou transcendante. La manière renvoie à la matière, le style aux outils : pas de style sans la manière et pas de manière sans le style. Le style donne des outils : les catégories de la langue et du goût ; la manière s'approprie aux lieux de ses matériaux. Le style et la manière disent quelque chose d'un comportement du langage dans l'écriture. Les écrits délirants des aliénés attestent assez de la proximité du << je ne sais quoi >> et du << n'importe quoi >> (sortir de la valeur dans le barbare). Il y a du jeu dans le langage qui compose avec l'autre : je consens ou je refuse et résiste à imiter les accentuations de l'autre. C'est de la sorte que le style dans le << je ne sais quoi >> noue ce qu'il vise à dire qu'il ne sait pas dire encore : nous sommes requis par une crispation secrète dans les flancs de l'approche despotique de l'impératif du style (L'impératif du style : une sensibilité aux formes de vie ) qui devient un secret partagé. L'art est l'étalon : la valeur de la valeur. L'esthétique est la théorie de l'art qui chez Baumgarten comme poétique de l'esthétique qui se mue en science de la pensée de l'art et de la connaissance du sensible. L'art, c'est l'aujourd'hui encore aujourd'hui demain : une hisroricité du présent. (Gérard Desson : L'art et la manière).




        Conditionnement ou condition de possibilité ? Comment passe t’on de l’un à l’autre ? Ce que met suffisamment en lumière ces exemples, c’est qu’il existe non pas une rupture épistémologique entre le langage ordinaire et la logique et les mathématiques, mais bel et bien une continuité : les différents domaines mathématiques sont des prolongements de la logique qui elle-même est un prolongement de la grammaire du langage ordinaire. Le style n’est pas un nœud de réactions psychiques : c’est une activité réglée au sein d’une expérience. Dire ceci, ce n’est pas dire qu’elles doivent être ou qu’elles peuvent être confondues : il y a bien de l’une à l’autre des différences de degré de détermination et d’indétermination et/ou même de degré de détermination de l’indétermination et/ou encore de degré d’indétermination de la détermination : telle est sans doute la première leçon que nous pouvons tirer de la fameuse thèse Duhem/Quine [1]. La seconde leçon que nous pouvons tirer de cette thèse, nous la devons à Putnam : relevant que résidu de l’indistinction du jugement analytique et du jugement synthétique n’est pas un pur néant mais bien un je ne sais quoi ou un presque rien, en réalité, un affect ou une valeur, il en déduit qu’il nous faut considérer que la distinction positiviste des faits et des valeurs est souvent beaucoup trop péremptoire [2].

           Si un style est presque toujours reconnaissable, il est souvent inimitable et parfois immodélisable ; c’est qu’il exprime et qu’il imprime sa prolepse propre : l’effraction du style a souvent quelque chose d’inévident [3], d’improbable ou d’inespéré. Les saillances du style font vibrer les prégnances qu’elles percutent : leurs forces sont proportionnées à leur vitesse et à leurs accélérations. Les styles en somme ne sont rien d’autre que des rapports de repos et de mouvements, de vitesses et de lenteurs, d’accélérations et de ralentissements. Ils sont un raccourci convulsé de la vie dans l’immédiateté d’une pointe d’esprit [4] : << L’admiration que l’on a pour la nouveauté est ce qui fait estimer les succès. Il n’y a point d’utilité, ni de plaisir, à jouer à jeu découvert. De ne se pas déclarer incontinent, c’est le moyen de tenir les esprits en suspens, surtout dans les choses importantes, qui font objet de l’attente universelle. Cela fait croire qu’il y a du mystère en tout, et le secret excite la vénération. Dans la manière de s’expliquer, on doit éviter de s’expliquer trop clairement ; et dans la conversation, il ne faut pas toujours parler à cœur ouvert. Le silence est le sanctuaire de la prudence. Une résolution déclarée ne fut jamais estimée. Celui qui se déclare s’expose à la censure, et, s’il ne réussit pas, il est doublement malheureux. Il faut donc imiter le procédé de Dieu, qui tient tous les hommes en suspens >>. << Il n’y a point de beauté sans aide, ni de perfection qui ne donne dans le barbarisme, si l’art n’y met la main. L’art corrige ce qui est mauvais et perfectionne ce qui est bon. D’ordinaire, la nature nous épargne le meilleur afin que nous ayons recours à l’art. Sans l’art, le meilleur naturel est en friche ; et quelque grand que soient les talents d’un homme, ce ne sont que de demi talents, s’il ne sont pas cultivés. Sans l’art, l’homme ne fait rien comme il faut, il est grossier en tout ce qu’il fait >>. << Ce n’est pas assez que la substance, il faut à la chose, la manière de la circonstance : une mauvaise manière gâte tout, défigure même la justice et la raison. Au contraire, une belle manière supplée à tout, elle dore le refus, elle adoucit ce qu’il y a d’aigre dans la vérité, elle ôte les rides à la vieillesse. Le comment fait beaucoup en toutes choses : une manière dégagée enchante les esprits et fait tout l’ornement de la vie >>. << Quelquefois, un signe ou un geste fait plus d’impression que toutes les leçons d’un maître sévère : l’art de converser a plus servi à quelques uns que les sept art libéraux ensemble >>.

       << Soit l’action, soit le discours, tout doit être mesuré au temps. Il faut vouloir quand on le peut, car ni les saisons, ni le temps n’attendent personne. Ne règle point ta vie sur des maximes générales, si ce n’est en faveur de la vertu ; ne prescris point de lois formelles à ta volonté, car tu seras dès demain forcé de boire de la même eau que tu méprises aujourd’hui. L’impertinence de quelques uns est si paradoxale qu’elle va jusqu’à prétendre que toutes les circonstances d’un projet s’ajustent à leur manie, au lieu de s’accommoder eux-mêmes aux circonstances. Mais le sage sait que le nors de la prudence consiste à se conformer au temps >>. Et de ce point de vue, on doit bien se rendre compte  que cette notion de style prolonge les artifices de la Nature : une telle notion est donc susceptible de recevoir une interprétation éthologique et biologique et de recevoir en propre l’appellation d’Institution de la Nature. Elle désigne alors une espèce d’allure : un pouvoir d’affecter et un pouvoir d’être affecté, un pouvoir de former (bildung) et un pouvoir de transformer, un pouvoir de se figurer et un pouvoir de se transfigurer. C’est dans les instantanés de l’accéléré et du ralenti qu’on aperçoit le mieux les élans du style qui ne sont rien d’autres que des momentanés de nos élans vitaux : le style est une sorte de régularité moyenne qui résulte du conflit des instincts d’audace et de prudence. Est il pour autant un réflexe ? Sans doute, il fonctionne comme une réaction vive, spontanée et truculente : il n’est donc pas un réflexe tout à fait conditionné, il a une part d’imprévisibilité et de liberté mais surtout il a la capacité de se réformer, de se corriger, de se perfectionner : il appartient à cet ordre de notre seconde Nature dont Aristote nous entretient dans Ethique à Nicomaque : le style est la vertu de l’habileté. En traversant de part en part les formes du vivant et leurs activités, il constitue ainsi le vecteur de diffusion et de profusion principiel le plus véhément des métamorphoses des organismes vivants [5] : le style contient toutes les puissances de nos pouvoirs d’agir.

 

           Le style n’est peut être qu’une façon de passer le temps, d’épouser son rythme tout en échappant à son emprise, une absence à soi-même prise par une cadence [6] : le style efface la frontière entre le contenant et le contenu, il exprime l’interaction entre la forme et la matière. << L’esprit fécond, le jugement profond et le goût fin font un prodige : ces trois choses sont le plus grand don de la libéralité. C’est un grand avantage de concevoir bien, et encore un plus grand de bien raisonner, d’avoir un bon entendement. L’esprit ne doit pas être dans l’épine du dos, ce qui le rendrait plus pénible qu’aigu. Bien penser, c’est le fruit de l’être raisonnable : à vingt ans, la volonté règne ; à trente, l’esprit ; à quarante, le jugement. Il y a des esprits qui, comme les yeux du lynx, jettent d’eux-mêmes la lumière, et qui sont plus intelligents quand l’obscurité est plus grande. Il y en a d’autres qui sont impromptus : ce qu’ils donnent est toujours ce qui est le plus à propos. Il leur vient toujours beaucoup de bon goût qui assaisonne toute la vie >>. << Il faut laisser les gens avec le nectar sur les lèvres : le désir est la mesure de l’estime. Jusque dans la soif de du corps, c’est la finesse du bon goût que de la provoquer, et de ne la contenter jamais entièrement. Le bon est doublement bon lorsqu’il y en a peu. Le rabais est grand à la seconde fois. La jouissance trop pleine est dangereuse, car elle est cause que l’on méprise la plus haute perfection. L’unique règle de plaire est de trouver un appétit que l’on a laissé affamé : s’il le faut provoquer, que ce soit plutôt par l’impatience du désir, que par le dégoût de la jouissance. Une félicité qui coûte de la peine, contente doublement >>. Un univers réticulaire dérégulé et un monde fluide se dessinne fait de flux de simulacres : dans un tel monde, l'identité de chaque individu par sa manière propre de fluer instille la régularité d'une certaine cadence rythmique et un élément d'irrégularité, de nouveauté et d'inédit. Les modalités des fluences des rythmes organisent des échanges et des interactions qui réglent les conflits des jeux mouvants du devenir des choses. Il y a des manières spontanées de fluer qui favorisent les puissances d'individualisation et d'autres qui au contraire nous figent et nous engluent dans des configurations visqueuses. Qu'est ce que c'est que d'avoir son propre rythme ? Comment vivre ensemble  en prenant acte de l'idiorythmie propre à chacun ?


[1]) Willard Van Ornam QUINE : Le mot et la chose ; traduction Paul Gochet, éditions Flammarion, 1977.

[2]) Hilary PUTNAM : Le réalisme à visage humain ; traduction Claudine Tiercelin, éditions du Seuil, 1994.

[3]) Jean-François BALAUDE : traduction, introduction et commentaire des Lettres,  Maximes et  Sentences d’Epicure ; éditions Le livre de Poche, 1994.

[4]) Balthasar GRACIAN : L’homme de cour ; traduction Amelot de la Houssaie, éditions Gabay, § 3, 12, 14.

[5]) Gaston BACHELARD : Lautréamont ; éditions José Corti, 1939.

[6]) Marie DARRIEUSSECQ : Qu’est ce que le style ? Université de tous les savoirs, éditions Odile Jacob, 2001.

Publié dans Géopoétique

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Le goût est une faculté toute spontanée qui précède la réflexion, que tout le monde possède à des degrés divers mais qui est différente chez chacun. Le goût est le sens de l'esthétique, il commence quand on peut distinguer le plaisir esthétique causé par le beau d'un simple plaisir sensuel : exiger d'une oeuvre d'art qu'elle plaise sensuellement ou qu'elle émeuve la sensibilité, est la marque d'un goût encore inculte. Toute raideur dans la régularité est contraire au bon goût. Le goût est la discipline du génie, c'est le talent de cette faculté de produire des Idées esthétiques qui suscite une satisfaction sans intérêt.
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