G L'exaltation graduelle de la spontanéité...

Publié le par Pierre GAPENNE

Aussitôt que l’animal se meut et se transporte tout entier, l’opposition de la réceptivité et de la spontanéité prend un caractère tout nouveau...Aussitôt que l’animal se meut et se transporte tout entier, l’opposition de la réceptivité et de la spontanéité prend un caractère tout nouveau...

Aussitôt que l’animal se meut et se transporte tout entier, l’opposition de la réceptivité et de la spontanéité prend un caractère tout nouveau...

      Ce n’est donc pas une nécessité externe que celle de l’habitude, mais une nécessité d’attrait et de désir. C’est bien une loi, que cette loi des membres, qui succède à la liberté de l’esprit. Mais cette loi est une loi de grâce. C’est la cause finale qui prédomine de plus en plus sur la cause efficiente et qui l’absorbe en soi. Et alors, en effet, la fin et le principe, le fait et la loi, se confondent dans la nécessité. Or maintenant, quelle est la différence entre les tendances engendrées par la continuité ou la répétition de l’acte, et ces tendances primitives qui constituent notre nature ? Quelle est la différence entre l’habitude et l’instinct ?

 

         Or, à mesure qu’on s’élève dans l’échelle des êtres on voit se multiplier et se définir les rapports de l’existence avec les deux conditions de la permanence et du changement dans la nature, l’espace et le temps ; et la permanence et le changement sont les conditions premières de l’habitude. La loi élémentaire de l’existence est l’étendue, sans forme ni grandeur définies, avec la mobilité indéfinie ; c’est le caractère général du corps. La première forme qui le détermine est la figure définie dans sa forme, et la mobilité définie dans sa direction ; c’est le caractère général du minéral (solide). La première forme de la vie est le développement, l’accroissement dans l’espace, défini en direction et en grandeur, sous la figure définie dans sa grandeur comme dans sa forme ; c’est la vie végétale. Enfin, le caractère général et le signe le plus apparent de la vie animale est le mouvement dans l’espace. A cette suite de rapports avec l’espace et le mouvement, se lie une suite de rapports analogues avec le temps. Le corps existe sans rien devenir ; il est en quelque sorte hors du temps. La vie végétale veut un certain temps qu’elle remplit de sa continuité. La vie animale n’est plus continue ; toutes ses fonctions ont des alternatives de repos et de mouvement ; toutes sont intermittentes au moins dans la succession de la veille et du sommeil ; les fonctions intermédiaires qui ont pour fin immédiate la préparation à la vie végétale sont assujetties à des périodes plus courtes et plus régulières.

 

      L’existence inorganique n’a donc aucune relation définie avec le temps. La vie implique une durée définie, continue ; la vie animale, une durée définie, entrecoupée d’intervalles vides, et distinguée en périodes, un temps divisé et discret. Or, c’est dans l’intermittence des fonctions que semble se manifester le plus clairement la spontanéité. Le caractère de la spontanéité est l’initiative du mouvement. L’initiative paraît évidente quand le mouvement recommence après avoir cessé, et en l’absence de toute cause interne. Il y faut, ce semble, plus de force aussi et plus d’effort pour soulever la matière affaissée et retombée sur elle-même.

 

        Dès le premier degré de la vie animale commence en effet à se manifester hautement la double influence de la seule durée du changement. Les éléments qui excitaient d’abord dans les organes une irritation extraordinaire cessent à la longue de l’exciter sans que rien semble changé dans la constitution même de l’organe. C’est un abaissement graduel de la réceptivité. D’un autre côté, les fluides vitaux soumis dans leur cours aux intermittences caractéristiques de la vie animale affluent de plus en plus, sans cause extérieure subsistante, au moins en apparence, dans les parties où ils ont été appelés. Ils y affluent aux mêmes époques. L’habitude se révèle comme la spontanéité dans la régularité des périodes. Si la veine a été ouverte plus d’une fois à des intervalles de temps réguliers, après les mêmes intervalles le sang s’y porte et s’y accumule de lui-même. L’inflammation, le spasme, la convulsion ont leurs retours réglés, sans aucune apparence de cause déterminante dans le matériel de l’organisme. Toute fièvre dont le hasard a ramené les accès à des intervalles égaux tend à se convertir en une affection périodique; la périodicité devient de son essence. Tout cela, c’est une exaltation graduelle de la spontanéité.

 Mais la végétation n’est pas la forme la plus élevée de la vie. Au-dessus de la vie végétale, il y a la vie animale. Or un degré de vie supérieur implique une plus grande variété de métamorphoses, une organisation plus compliquée, une hétérogénéité supérieure. Dès lors il y faut des éléments plus divers ; pour que l’être les absorbe en sa propre substance, il faut qu’il les prépare et les transforme. Pour cela il faut qu’il les approche de quelque organe qui y soit propre. Il faut donc qu’il se meuve, au moins par parties, dans l’espace extérieur. Il faut enfin qu’il y ait quelque chose en lui sur quoi les objets extérieurs fassent quelque impression, de quelque nature qu’elle soit, mais qui détermine les mouvements convenables. Telles sont les conditions les plus générales de la vie animale.

  Si l’on s’élève d’un degré de plus dans la vie, l’être ne se meut plus seulement par parties, il se meut tout entier dans l’espace ; il change de lieu. En même temps s’ajoutent à ses organes des organes nouveaux qui reçoivent à des distances de plus en plus grandes l’impression des objets extérieurs. Dans ce nouveau période, se prononce avec une force nouvelle le contraste de la réceptivité et de la spontanéité. En effet, dans le monde inorganique, la réaction est exactement égale à l’action, ou plutôt, dans cette existence tout extérieure et superficielle, l’action et la réaction se confondent ; c’est un seul et même acte, à deux points de vue différents. Dans la vie, l’action du monde extérieur et la réaction de la vie elle-même deviennent de plus en plus différentes, et paraissent de plus en plus indépendantes l’une de l’autre. Dans la vie végétale, elles se ressemblent encore et s’enchaînent de près. Dès le premier degré de la vie animale, elles s’écartent et se différencient, et à des affections imperceptibles de la réceptivité répondent des agitations plus ou moins considérables dans l’espace. Mais aussitôt que l’animal se meut et se transporte tout entier, l’opposition de la réceptivité et de la spontanéité prend un caractère tout nouveau. Les objets extérieurs font impression sur les organes propres de cette réceptivité supérieure, par l’intermédiaire de fluides de plus en plus rares et subtils, l’air et l’éther, tandis que les mouvements qui semblent répondre à ces impressions sont de plus en plus amples, et de plus en plus compliqués.

 

            La double loi de l’influence contraire de la durée du changement sur l’être, selon qu’il le subit seulement ou qu’il le commence, la double loi de l’habitude doit donc aussi se manifester ici par des traits plus sensibles et plus incontestables. Les impressions perdent leur force à mesure qu’elles se reproduisent davantage. Or, les impressions sont ici de plus en plus légères, et intéressent de moins en moins la constitution physique des organes. L’affaiblissement graduel de la réceptivité semble donc de plus en plus l’effet d’une cause hyperorganique. D’un autre côté, les mouvements sont de plus en plus disproportionnés aux impressions de la réceptivité. Le progrès du mouvement semble donc aussi de plus en plus indépendant dans son principe de l’altération matérielle de l’organisme (Dans la doctrine contraire du mécanisme cartésien, voir spécialement sur l'égalité de l'action et de la réaction, Buffon, De la Nature des animaux). Mais si la réaction est de plus en plus éloignée et indépendante de l’action à laquelle elle répond, il semble que de plus en plus il faut un centre qui leur serve de commune limite, où l’une arrive et d’où l’autre parte ; un centre réglant de plus en plus par lui-même, à sa manière, en son temps, le rapport de moins en moins immédiat et nécessaire de la réaction qu’il produit avec l’action qu’il a subie. Ce n’est pas assez d’un moyen terme indifférent comme le centre des forces opposées du levier ; de plus en plus, il faut un centre qui, par sa propre vertu, mesure et dispense la force. Que serait-ce donc qu’une semblable mesure, sinon un juge qui connaît, qui estime, qui prévoit et qui décide ? Qu’est-ce que ce juge, sinon ce principe qu’on appelle l’âme ?

 

        Ainsi semble apparaître dans l’empire de la Nature le règne de la connaissance, de la prévoyance, et poindre la première lueur de la Liberté. Cependant, ce sont des indices obscurs encore, incertains et contestés ; mais la vie fait un dernier pas. La puissance motrice arrive, avec les organes du mouvement, au dernier degré de perfection. L’être, sorti, à l’origine, de la fatalité du monde mécanique, se manifeste, dans le monde mécanique, sous la forme accomplie de la plus libre activité. Or cet être, c’est nous-même. Ici commence la conscience, et dans la conscience éclatent l’intelligence et la volonté. Jusque-là, la nature est pour nous un spectacle que nous ne voyons que du dehors. Nous ne voyons des choses que l’extériorité de l’acte ; nous ne voyons pas la disposition, non plus que la puissance. Dans la conscience, au contraire, c’est le même être qui agit et qui voit l’acte, ou plutôt l’acte et la vue de l’acte se confondent. L’auteur, le drame, l’acteur, le spectateur, ne font qu’un. C’est donc ici seulement qu’on peut espérer de surprendre le principe de l’acte. C’est donc dans la conscience seule que nous pouvons trouver le type de l’habitude ; c’est dans la conscience seule que nous pouvons espérer non plus seulement d’en constater la loi apparente, mais d’en apprendre le comment et le pourquoi, d’en pénétrer la génération, et d’en comprendre la cause.

  

Publié dans Philosophie

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