3) Relever le défi du relativisme ...

Publié le par Pierre GAPENNE

Le relativisme est une forme du scepticisme qu'il s'agit de regarder en face...

Le relativisme est une forme du scepticisme qu'il s'agit de regarder en face...

  Enquête qui renvoie aux livre qui réunit les textes fondamentaux de cette discipline par J Dutant et P Engel : Philosophie de la connaissance : croyance, connaissance et justification.

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                Le relativisme est une forme du scepticisme qu'il s'agit de regarder en face. Quatrième leçon. L’idée fondamentale du relativisme épistémique (relativisme non des faits mais des justifications des croyances) consiste à partir de l’idée suivante : nous ne partons pas des faits mais nous partons de l’idée que nous sommes en présence de différents systèmes ou de différentes grilles épistémiques. Donc que nous n’avons pas de critère, pas de standard épistémique absolu. Le relativisme porte sur la justification ce qui revient à dire que le relativisme épistémique refuse l’idée qu’il y aurait des normes ou des standards absolus fondamentaux. Il s’exprime de la façon suivante : pour toute proposition observationnelle p, s’il semble à X que p, selon telle ou telle modalité sensorielle, dans des circonstances C, alors X est justifié de prime abord à croire que p. Si X est justifié à croire que p et que p implique à l’évidence q, alors est justifié à croire que q, si X (principe du modus ponens ou de la clôture épistémique)  a observé souvent qu’un B suivait un A, alors est justifié à croire que tous le A seront suivis de B. L’argument relativiste est relativisé : cela revient à dire que toutes les normes que nous utilisons sont des normes dérivées. Si Médiapart dit que p, alors p en général. Si quelqu’un me dit qu’il fait beau à New York, alors, c’est qu’il y fait beau. Mais d’autres principes épistémiques sont possibles : si votre système épistémique est celui la révélation alors votre raisonnement sera le suivant : p si c’est dit dans la Bible. Si p a lieu dans la tribu Azindé et cause d’un malheur, c’est dû au sorcier. On peut admettre des différences dans les systèmes sans que la différence soit totale. Les systèmes doivent rester commensurables les uns pour les autres. Il y a des jeux comparatifs possibles entre les systèmes. Etant admis ce principe, le relativisme épistémique peut soutenir l’argument suivant : 1) il n’y a pas de faits absolus relativement aux croyances que tel ou tel données justifient. 2) Si un jugement épistémique E justifie p, est susceptible d’être vrai, on doit le construire comme suit : selon le système épistémique J que X ou Y accepte, l’information E justifie p. Conclusion : on ajoute une clause de pluralisme. Il y a de nombreux systèmes épistémiques mais il n’y a pas de faits en vertu desquels l’un est plus correct que l’autre. Son argument est jusqu’alors recevable. Le relativiste peut encore renforcer son argumentation : 1) s’il y a des faits épistémiques absolus, il doit bien être possible d’avoir des croyances justifiées à leur sujet, 2) il n’est pas possible d’arriver à une croyance justifiée relativement aux faits épistémiques. 3) il n’y a pas de faits épistémiques absolus. 4) S’il n’y a pas de faits épistémiques absolus alors le relativisme épistémique est vrai. Conclusion : donc le relativisme épistémique est vrai. Observons que cette prémisse 4 peut être comprise de façons différentes : si nous sommes un expressiviste (quelqu’un qui considère que quand on prononce un énoncé sur quelque chose, vous ne donnez pas une information vraie ou fausse mais vous exprimez simplement un état mental d’approbation ou de désapprobation. E justifie p peut légitimement soutenir qu’il n’y a pas de faits relatifs aux normes épistémiques sans conclure au relativisme. S’agissant de la prémisse 1, ces faits s’agissant du relativiste, il n’est pas nécessaire qu’on le connaisse : après tout, c’est qu’on considère qu’ils sont peut-être connaissables. Il faut d’ores et déjà avoir toute une théorie de la connaissance et de ce qu’il faut avoir à considérer comme une condition  nécessaire et suffisante de ce qu’il faut pouvoir monopoliser pour dire de quelqu’un, pour être sûr qu’il convient au relativisme. Qu’en est-il de l’argument 2 ? Supposons que nous rencontrons un Azindé : comment allons nous lui montrer qu’il a tort. Pour cela, il nous faut lui montrer la supériorité objective de notre système de principes épistémiques sur le sien. Mais comment allons nous faire pour cela ? Pour cela, nous allons utiliser notre propre système et eux ils vont utiliser leurs systèmes pour montrer que c’est le leur le bon. Et là, de fait, nous n’avons aucun moyen de répondre à leurs objections. Pour reprendre ce que dit Wittgenstein : « est-ce que les Azindés ont tort de consulter un oracle ? Si nous employons le terme tort, n’utilisons-nous pas notre propre jeu de langage comme une base pour combattre le leur ». Il n’y a aucun moyen en se situant dans le cadre de notre système épistémique de montrer que notre système épistémique est nécessairement supérieur au leur puisque nous sommes obligés de nous placer dans une situation où il ne peut pas y avoir de confrontations des systèmes. Nous ne pouvons pas sortir de notre système. Autrement dit, pire encore puisque nous ne pouvons pas sortir de notre système, nous n’avons même pas les moyens sinon de façon circulaire de justifier notre système. Trouver des raisons ou des justifications à l’utilisation de notre propre système, à un moment donné nous serons bien obligés d’arrêter quelque part. La question qui se pose est celle de savoir si c’est dommageable de devoir s’arrêter quelque part. Le fait qu’à un moment nous soyons obligés de reconnaître cela, nos critères épistémiques sont acculés à admettre leur circularité : ceci est vrai parce que c’est vrai et c’est vrai que c’est vrai parce que c’est vrai . Cela revient à faire un coup de force permanent … Est-ce que ce n’est pas gênant et est-ce satisfaisant de justifier son système épistémique en tapant sur la table … Nous n’avons pas de moyen de contester l’argument relativiste. Si nous reprenons l’argument précédent nous nous apercevons qu’il repose sur deux principes : 1) le relativiste admet qu’on doit utiliser un système de justification ou un autre. 2) Il ne peut pas y avoir de justification si on justifie un système de raisonnement en faisant usage de ce même système. Mais peut-on faire autrement ? En un sens la raison ne peut avoir de compte à rendre qu’à la raison. Celui qui veut rejeter la raison doit donner des raisons contre la raison. Tandis que celui qui revendique l’autorité de l’irrationnel ne peut se fonder sur l’irrationnel pour revendiquer cette autorité. Envisageons à ce moment là que face à cette difficulté, le relativiste s’abrite derrière une forme de réfutation qui serait la suivante : 1) « rien n’est objectivement justifié » (cette phrase est un non-sens car ou bien c’est justifié objectivement et dans ce cas « rien n’est objectivement justifié » est faux si c’est vrai b) ou bien c’est justifié relativement à un système particulier mais dans ce cas, c’est juste vrai pour lui. Autrement dit, le deuxième cas n’implique pas qu’il soit vrai seulement pour lui, d’autres devraient pouvoir l’accepter. Autre type de réfutation possible si nous ne somme pas content de cette première réfutation : on peut ici essayer de prendre les choses à partir de l’exemple fameux et bien connu de ce qui opposait Osian et Copernic d’une part et Bellarmin et Galilée de l’autre : nous avions à faire à deux système épistémiques différents et la tactique de Bellarmin consistait à dire que d’une certaine manière on pouvait parfaitement considérer que ce sont deux systèmes qui sont compatibles à condition d’accorder que ni l’un ni l’autre ne disait parfaitement la vérité, que le premier était simplement conforme à ce que disait les écritures et l’autre conforme à ce que décrivait éventuellement le système épistémique galiléen. Supposons que nous disions pour sauver les meubles comme le fait Bellarmin pour sauver Galilée du bûcher : 1) le copercianisme est justifié par les observations de Galilée. Le relativiste va nier cette phrase et soutenir la chose suivante : le copercianisme est justifié par les observations de Galilée relativement à un système, la science que moi, locuteur, j’accepte. Vous voyez que pour que cela marche, il est important de distinguer ici entre deux choses : entre d’une part ce qu’on peut appeler des jugements épistémiques et d’autre part des principes épistémiques. Un jugement épistémique particulier est du type suivant : « il semble visuellement à Galilée qu’il y a des montagnes sur la Lune ». Un principe épistémique a la forme suivante : on part d’une observation générale pour toute proposition observationnelle p, s’il semble à S que p, alors S est justifié prima facie à croire que p. Si le relativisme dit que les énoncés de type 3, c'est-à-dire les énoncés particuliers du type « il semble visuellement à Galilée qu’il y a des montagnes sur la Lune » sont faux parce qu’il n’y a pas de faits absolus quant à la justification, il veut dire qu’il sont rendus faux du fait de la fausseté des principes généraux qui les implique. La seule chose qui est vraie, c’est que lorsque une observation générale permet au fait particulier d’être vrais. De même que c’est un principe épistémique que nous ne pouvons conclure qu’à partir d’un principe général. Mais si on suppose que les systèmes de justification sont acceptés, alors, une telle démarche est incohérente. Comment en effet peut-on accepter des systèmes généraux de justifications et en même temps cesser d’accepter des jugements particuliers qui en découlent ? Autrement dit, on accepte que dans le système S de la science, les observations scientifiques sont valides et qu’elles impliquent que telles observations particulières est vrai mais en même temps, on soutient qu’elle est fausse. En d’autres termes, le relativiste nous dit : 1) le copercianisme est justifié par les observations de Galilée mais il est faux de dire cela car il n’y a pas de justifications absolues. De même, pour toute observation propositionnelle p, s’il semble à S que p, alors S est justifié prima facie à croire que p est faux. Mais face à cela, le relativiste peut également essayer de s’en tirer par un autre type d’argument. Il est dans une position difficile. Il peut s’en tirer en soutenant ceci : 1) première porte de sortie, au fond, ces énoncés ne sont pas vrais. Un énoncé qui n’est pas vrai qui est ou bien faux, ou bien qui est incomplet (exemple : Jean est plus grand que ...) Le relativiste peut éventuellement s’abriter derrière cela en disant « le copercianisme est justifié par les observations de Galilée » n’est pas faux mais est éventuellement incomplet. C'est-à-dire, relativement au système S, « le copercianisme est justifié par les observations de Galilée ». Mais supposons qu’il dise cela, c'est-à-dire qu’il adopte une forme de retrait et qu’il refuse de considérer que l’énoncé est faux mais qu’il est seulement incomplet. Alors, il se trouve confronté à trois problèmes : 1) Comment peut-on accepter un ensemble de propositions que l’on sait être incomplètes, « comment accepter que Jean est plus grand … » si l’on sait que cette phrase est vraie que relativement à un standard implicite de taille. 2) Si les propositions d’un système épistémique sont incomplètes, comment peuvent-elles être les conceptions de quelque chose ? 3) Quelle est la relation entre le système épistémique et les propositions qu’il implique ? Ce ne peut être des relations d’implication logique car pour qu’il y ait des implications logiques, nous devrions avoir des propositions vraies qui en impliquent d’autres qui le sont aussi. Donc, il n’a pas les moyens d’utiliser ce type d’argumentation. 4) Supposons qu’il parie alors sur le pluralisme : il lui faut un système d’acceptation des validités égales des propositions et des énoncés ou des systèmes épistémiques. Dans ce cas aussi, je crains fort que le relativiste ne soit confronté à une nouvelle impasse. Supposons en effet que nous acceptions le pluralisme, c'est-à-dire « il y a de nombreux systèmes épistémiques » mais il n’y a pas de faits qui nous permettent de dire que l’un serait plus correct que les autres. (L’argument de la validité égale). L’argument prend alors la forme suivante : système épistémique C1 : si E (information donnée) alors B est justifié. C2 : il n’est pas vrai que si E, B est justifié …Etc. Mais c’est incohérent car ou bien E justifie B ou il ne le justifie pas. Si on dit que ce n’est pas le cas parce qu’il n’y a pas de faits absolus de justification, alors C1 est faux. Mais alors, C2 est vrai. Or, le relativiste ne peut pas dire cela puisqu’il nie qu’il y ait des faits de justification absolue. 5) Les systèmes épistémiques ne sont ni vrais ni faux, ils ne sont même pas incomplets, ce sont seulement des impératifs : nous les considérons non pas comme des systèmes de propositions vraies ou fausses mais comme des ensembles d’impératifs ou d’ordres qui ne sont ni vrais ni faux. Par exemple, on dira que les paradigmes de Kuhn sont des présuppositions mais qu’ils sont ni vrais ni faux. Mais en ce cas comme l’a montré Paul Boghossian, le relativiste qui adopterait une position de ce type se heurterait de nouveau à trois problèmes : 1) comment peut-il rendre compte de la justification épistémique plutôt que morale et politique s’il y a différentes sortes de justifications épistémiques ? 2) Un système épistémique ne justifie pas que «  E justifie B » mais le permet (ne l’empêche pas), alors qu’un impératif moral le requiert. 3) Il lui faut construire des énoncés comme « le copercianisme est justifié par les observations de Galilée » selon le système d’impératifs que nous acceptons. Cela revient à réduire les normes supposées à de simples faits. 4) Le relativiste peut alors dire « si nous devions rencontrer un système épistémique rival, C2 rival de C1, nous ne serions pas capables de justifier C1 plutôt que C2 même d’après notre point de vue. » La question qu’on peut se poser est celle de savoir véritablement si nous pouvons réellement, si de fait nous rencontrons de tels systèmes rivaux, est celle de Donald Davidson à propos des schèmes conceptuels : il faisait remarquer, ce qui atténue singulièrement un certain nombre de difficultés que pose le relativisme linguistique qu’il fallait poser comme conditions à l’existence d’un langage et à la traductibilité ce qu’il appelait le critère de cohérence, autrement dit, nous devons admettre comme critère minimal pour avoir un langage, un critère tel que nous ne pourrions pas admettre de distinctions arbitraires, autrement dit encore, nous devons pouvoir montrer si deux principes épistémiques gouvernent deux propositions qu’il y a entre ces propositions une véritable différence. Le problème est qu’il n’est pas certain que nous rencontrions vraiment d’autres systèmes qui nous permettent de justifier en utilisant ces critères un système C2 plutôt qu’un système C1. Supposons que le relativiste dise à ce moment là que nous continuions, nous objectiviste, nous antirelativiste à être coincé par l’    argument de la circularité des normes que nous avons évoqué. Il ne peut pas être correct de dire qu’on justifie un système à l’aide de lui-même. Par exemple, en logique, on justifie bien un certain nombre de principes de la logique au moyen de ses propres principes déductifs. Ensuite, ce n’est vraiment que si on a de bonnes raisons de douter de nos principes épistémiques que nous pouvons vraiment nous méfier de la circularité inhérente à la régression de la justification. Autrement dit, supposons que nous accordions au relativisme pour la dernière fois l’argument suivant : 1) « s’il y a des principes métaphysiques absolument vrais, nous savons quels ils sont, si un doute peut être émis sur la validité de nos principes épistémiques, nous ne savons pas lesquels sont objectivement vrais. 2) Un doute a surgi du fait que nous avons rencontré des systèmes épistémiques concurrents. 3) Donc nous ne savons pas quel principes épistémiques sont vrais. 4) Donc, il n’y a pas de tels principes. En fait, on peut considérer que cet argument est douteux car pourquoi devrions nous croire la première prémisse et pourquoi devrions nous sans avoir de raisons vraiment fortes de douter de notre système épistémique, croire la prémisse 3. Si ce que nous disons est juste, alors, cela revient à dire que le relativisme est en effet en bien mauvais posture. Essayons de mesurer la portée de la critique pour le moment : cette critique ne nie pas qu’un grand nombre de nos croyances soient construites, ni quelles ne dépendent pas des conditions sociales. De même que nos principes épistémiques peuvent parfaitement être construits et dépendre des conditions sociales : exemple, pourquoi les croyances chrétiennes sont-elles plus répandues en Italie qu’en Iran. Pourquoi l’affaire Sanico a-t-elle éclatée ? Pourquoi les enfants de banlieues sont-ils en révolte ? Pourquoi les femmes se sentent-elles différentes des hommes ? Il ne s’agit pas de nier ce genre de fait. Ce que nous avons voulu nier jusqu’ici, c’est ceci : 1) que les explications soient toutes égales. 2) Que les principes épistémiques soient tous égaux. 3) Que les vérités soient toutes égales. 4) Que tous les schèmes conceptuels soient incommensurables. Ce qui distingue la sociologie constructiviste des sciences de l’épistémologie traditionnelle, c’est son ambition d’expliquer toutes les croyances ordinaires en termes sociaux de construction sociale, y compris les croyances scientifiques. Qu’il s’agisse de tables de chaises de maisons, des femmes de la logique etc. Selon le principe de symétrie adopté par David Bloor, nous devons chercher le même type de causes à la fois aux croyances vraies, à celles qui sont fausses, rationnelles et celles irrationnelles. Mais est-ce correct ? Est-ce vrai pour des propositions scientifiques ? La Terre est plate pour un grec de l’Antiquité, pas pour nous. Est-ce vrai pour des propositions intrinsèquement évidentes telles que « je pense ». En tout cas, il nous semble que si c’est vrai pour la rationalité, alors aucune critique ne devient possible. Donc, au moins sur ce point, nous croyons que si le relativisme est prêt jusqu’à aller défendre ces positions, il n’est guère en mesure nous semble-t-il de répondre aux interpellations que nous lui avons faites. Pour finir, pour rester sur une note plus positive, nous voudrions suggérer une autre voie réaliste qui nous permette de sortir à la fois des impasses de la conception traditionnelle de la connaissance qui repose sur une forme de réalisme métaphysique absolu et en même temps qui nous permette de sortir de certaines des impasses du relativisme ainsi entendu. Tout réalisme relativement à un corps de connaissances peut se ramener à la conjonction de deux thèses : a) une thèse métaphysique d’indépendance et d’existence : nos jugements sont vrais en vertu de l’existence d’un monde indépendant de l’existence de notre connaissance ; b) une thèse épistémique relative à la connaissance : nous pouvons savoir si ces jugements sont vrais. Ainsi conçu, le réalisme est soumis à une tension caractéristique : si le monde est indépendant de notre connaissance, comment pouvons nous réellement le connaître ? C’est sur cette tension réelle que joue le relativisme. Contre le réalisme ainsi entendu, conjonction des deux thèses d’indépendance et de vérité, le relativiste a beau jeu de rejeter la première et ne va accepter la seconde (la thèse épistémique) que si en règle générale, la vérité de nos énoncés, n’est pas indépendante des moyens que nous avons de la vérifier. Si nous voulons tracer la voie d’un réalisme convaincant minimal (Souvenac parle d’un réalisme innocent), tracer cette voie, cela consistera à se frayer un chemin très étroit entre ces deux écueils. Eviter d’un côté un réalisme radical ou métaphysique, un réalisme avec un grand R mais aussi, un réalisme trop mou, proche de l’antiréalisme qui s’enfermerait trop dans une perspective sémantique et épistémique, qui ne permettrait pas au sens de Claudine Tiercelin d’éviter les écueils du relativisme que nous avons examiné et précisé. Une chose s’impose, c’est celle d’éviter le Réalisme métaphysique si on entend par là ce que stigmatise Putnam la conjonction des trois thèses suivantes : 1) le monde est constitué d’un ensemble fixe d’objets indépendants de l’esprit ; 2) il n’existe qu’une sorte de description vraie de comment est fait le monde ; 3) la vérité est une sorte de correspondance entre des mots ou des symboles de pensée et des choses et des ensembles de choses du monde extérieur (Raison, Vérité et Histoire, 1981). Adopter une telle position, c’est en effet, cela reviendrait à souscrire à une conception magique de la référence, à concevoir la relation entre les mots et les choses du monde comme une correspondance unique indépendante et indifférente à la position épistémologique de l’agent de connaissance laquelle impose de prendre en compte l’évolution de la rationalité dans l’Histoire et de la manière dont le langage s’accroche au monde. En d’autres termes, nous devons partir du principe qu’il n’y a pas de relation de référence unique associée à une théorie vraie unique et qui soit radicalement non-épistémique. Le Réaliste métaphysique surtout s’il s’appuie comme c’est le plus souvent le cas sur une interprétation physicaliste du monde, selon laquelle la relation de correspondance correcte est une relation physique, que seule la physique peut décrire, s’abrite donc derrière une représentation magique du monde puisqu’il en vient à doter la réalité physique d’un pouvoir cognitif ou de propriétés mentales comme si « dans un univers d’objets à la fois indépendants de l’esprit et autoidentifiants, c’était le monde et non les penseurs qui triaient les choses en espèces ». La relation de référence devient une sorte de métaphysique ineffable mais cela n’implique pas malgré tout, et ceci est un pavé dans le champ de Quine, et du relativiste ontologique, mais cela ne signifie pas et cela n’implique pas qu’il n’y ait pas de faits décisifs (facts of the matter) permettant de dire à quoi les mots font référence selon le principe quinien de la relativité de la référence. L’accepter serait faire de la notion d’objet une notion totalement métaphysique. Or, dit Putnam, je sais ce que sont les tables et ce que sont les chats ou ce que sont les trous noirs. Mais que vais-je bien pouvoir faire de cette notion d’un X qui est une table ou un chat ou un trou noir ou le nombre trois, un objet qui n’a pas du tout de propriétés en soi et qui à n’importe quelle propriétés dans un modèle, est une idée dingue inconcevable ? La doctrine de la relativité de l’ontologie évite les problèmes de la philosophie médiévale du réalisme classique mais pour les remplacer par ceux de la métaphysique kantienne. De plus, on ne peut accepter la doctrine pour des langages autres que le mien : la situation humaine est symétrique. Si les mots des autres personnes n’ont pas de références déterminées, alors les miens n’en ont pas non plus. A en croire Quine, lorsque je pense que je fais référence à mon chat (Tabita), il n’y a pas d’autres faits décisifs qui me permettent de dire si mes mots désignent Tabita ou l’univers entier moins le chat. Mais il m’a toujours semblé juste, note Putnam que « une conception qui semble si  contraire au sentiment que nous avons d’être en contact intellectuel et perceptuel avec le monde, ne peut pas être juste ». Le réaliste devra donc rejeter aussi bien le positivisme scientiste que le Réalisme métaphysique : il lui faut abandonner l’idée d’une correspondance particulière entre ce qui est à l’intérieur de l’esprit et du cerveau et ce qui est à l’extérieur ce qui conduit à une fiction métaphysique d’un monde déjà tout fait avec des objets autoidentifiants, une structure inscrite dans des essences. Mais, il lui faut aussi renoncer à une image modifiée de l’esprit ou du cerveau comme se contentant d’accepter tout un ensemble de correspondances différentes sans essayer d’en fixer une en particulier comme étant la correspondance entre mots et objets. Cela conduit à la fiction métaphysique d’un monde nouménal sans aucune relation déterminée avec le monde de notre expérience. Le fait que la valeur de vérité de phrases entières soient fixées ne suffit donc pas à fixer la référence des constituants des phrases. Partant, des éléments de langage de l’esprit pénètrent si profondément dans ce que nous appelons la réalité que le projet même qui consisterait à nous représenter comme des cartographes de quelque chose qui est indépendant du langage est en effet compromis dès le départ. En d’autres termes, n’importe quelle forme de discours ne signifie ce qu’elle signifie qu’en vertu de ce que l’on comprend de ce qu’est cette signification. Il n’empêche, le monde n’est pas réductible à ce que nous en faisons, les dinosaures existaient avant que nous y pensions, le monde n’est pas un produit, c’est le monde tout simplement. D’où notre deuxième recommandation : le réalisme que nous proposons a tout intérêt à s’inspirer d’un modèle comme celui qu’ont proposé un certain nombre de philosophes médiévaux : pour eux toute définition correcte du réalisme passe d’abord aussi par une opposition au Réalisme métaphysique que l’on vient d’épingler. Comme les scolastiques n’ont cessé de le répéter, le problème métaphysique majeur (problèmes des universaux), n’est pas celui de savoir s’il existe des choses en dehors de nos idées ou de nos mots. L’alternative in anima ou esse extra anima est fausse : quand un philosophe médiéval dit d’un universel qu’il est réel, il ne veut pas dire qu’il existe et que nous pouvons le découvrir comme un crabe sous un rocher, mais que ce que le mot signifie par opposition à ce que nous pouvons en dire vraiment, est réel. Il importe donc de se souvenir de cette leçon médiévale : n’importe qui peut penser que « le » est un mot français, ce n’est pas cela qui fait ou fera de lui un réaliste. En revanche, que le mot « dur » soit lui-même réel ou non, s’il pense que la propriété de, le caractère, le prédicat dureté n’est pas une invention ou une construction des hommes comme l’est le mot mais se trouve réellement et effectivement dans les choses dures et uniques en elles toutes, sous la description d’une habitude ou d’une disposition, alors oui, il est réaliste. C’est la définition que donne Charles-Sanders Peirce notamment du réalisme. Partant, il nous faut définir le réel non pas comme ce qu’il nous arrive d’en penser mais ce qui reste inchangé par ce que nous pouvons en penser. N’est donc peut-être pas réaliste celui que l’on croit. Un réaliste, c’est simplement quelqu’un qui sait qu’il n’y a pas plus de réalité cachée que celle représentée dans une représentation vraie. L’existence est donc assurément un aspect crucial dont doit rendre compte tout réalisme et qu’a tendance à oublier précisément le relativiste. Mais elle n’est pas non plus le tout de la réalité. Nous pouvons déjà en mesurer l’incidence pour la réflexion en philosophie des sciences concernant la question de savoir si le fait qu’on ait à recourir par exemple à des inobservables, cela constitue vraiment un problème pour le réaliste. A l’évidence, non. Tout réalisme bien conçu est donc nécessairement à concevoir d’abord comme un réalisme sémantique et épistémique : il doit s’opposer au Réalisme métaphysique de type platonicien qui s’obstine à concevoir l’existence des choses indépendamment de toutes relations à la conception qu’en a l’esprit. Dans une troisième étape, il appartiendra alors au réaliste de déterminer comment et pourquoi ce qui est réel ne se réduit pas de fait, à ce que nous pouvons en dire ou en penser. Il y a donc bien une certaine indépendance en effet qu’il importe donc de caractériser. Et le réaliste aura donc tout intérêt pour ce faire à s’appuyer sur une forme de réalisme scientifique. En d’autres termes, il ne devra pas hésiter à affirmer l’existence de certaines entités postulées par les théories scientifiques, des atomes, des molécules ou des électrons, ce qu’on appelle le réalisme théorique. Là où l’instrumentalisme d’un Osiander ou d’un Bellarmin, dira que nos théories scientifiques ne sont que des moyens calculatoires, permettant de prédire des observations et selon lequel les termes théoriques qui figurent dans nos explications peuvent être réduits à des termes observables. Il ne s’agit pas seulement donc de produire des théories empiriquement adéquates, qui auraient une égale validité, comme le prône le relativiste mais de mettre en ordre les faits en soutenant qu’il n’y a pas de monde au-delà des théories et que celles-ci ne sont vraies que parce que nous les acceptons et que nous disposons pour cela de critères empiriques. Il nous semble que le réaliste dispose pour cela de plusieurs arguments à opposer au relativiste. 1) le premier, c’est que la science tend à l’unification de ses théories ; 2) le second, c’est que le caractère explicatif des théories : comment une théorie peut-elle expliquer des phénomènes si les entités qu’elle postule n’existe pas ; 3) le troisième trait, c’est l’existence de prédictions nouvelles. Ces trois traits ont en commun de s’appuyer en quelque sorte sur ce que Putnam tient sans doute pour l’argument essentiel de façon tout à fait juste en faveur du réalisme scientifique : l’argument du non miraculeux en vertu duquel le réalisme est la seule philosophie qui ne fasse pas du succès de la science un miracle. De fait, nos théories scientifiques qui nous disent de quoi le monde est fait, se présentent comme un succès en effet incroyable puisqu’elles permettent de prédire, de manipuler et de faire que nous soyons capables de nous approprier les (aux) phénomènes du monde. L’explication la plus directe de tout cela, c’est de penser qu’elles décrivent correctement la nature du monde ou du moins quelque chose de fort approchant. Sans cette explication, le succès rencontré dans les sciences relèverait du miracle et il vaut toujours mieux éviter de choisir en premier le miraculeux. A partir de là, le réaliste sera autorisé nous croyons à soutenir trois thèses : 1) Première thèse métaphysique : le monde existe et il a une structure définie et n’en déplaise au relativiste, indépendant de l’esprit. 2) Thèse sémantique : nos théories scientifiques doivent être prises pour argent comptant, elles sont donc susceptibles d’être vraies ou fausses. C’est la nature et la constitution du monde que le détermine, c’est elle qui en est le vérifacteur : si une théorie est vraie, les termes qui y figurent qu’il s’agisse d’inobservables ou d’observables ont une référence possible. En d’autres termes, les objets postulés existent et leur constitution rend vraie la théorie en question. Enfin, thèse épistémique, les théories scientifiques sont en règle générale bien confirmées et approximativement vraies. Elles sont en mesure de nous donner accès à la constitution de la nature. Face au relativiste instrumentaliste, il semble que le réaliste en effet, a les moyens de justifier l’optimisme épistémique : tout d’abord, s’agissant du problème de l’incommensurabilité, on observera que certains s’efforcent de démontrer aujourd’hui qu’il est possible de comprendre l’ancienne théorie comme un cas limite de la nouvelle théorie, même si les concepts respectifs des deux théories en question sont très éloignés. Bref, la thèse de l’incommensurabilité qui a fait les grandes heures de la théorie relativiste, n’est plus aujourd’hui considérée comme une réelle menace pour le réalisme scientifique. En second lieu, il n’est pas sûr que les changements de théorie, si souvent évoqués par le relativiste, soient aussi radicaux qu’on veut bien le dire : il semble bien qu’il soit possible de faire le départ entre les constituants théoriques qui ont contribués au succès des théories que l’on a abandonné et ceux qui étaient inutiles et de montrer en fait que les premiers ont bel et bien été conservés dans les nouvelles théories, ce qui militerait plutôt en dépit des évolutions en faveur d’une certaine stabilité dans les principes théoriques, épistémiques et dans les hypothèses explicatives qui constituent notre image scientifique du monde. Une stabilité que certains n’hésitent pas à attribuer à la structure mathématique du réseau (reste) des théories. La courbe évolutive de l’univers correspond bien aux différentes phases de cette évolution, phase explosive, phase de quasi stagnation puis phase d'accélération de la constante cosmologique …

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